Négationnisme:

Réunion autour d'Onana et de Philpot à Toulouse

M-V Roux

La réunion s'intitulait "Au coeur de l'Afrique le drame du Rwanda : les idées reçues et les zones d'ombre."

La conférence était organisée par l'A.R.T (association des rwandais de Toulouse) dans la salle paroissiale Saint Vincent de Paul, à Toulouse, au 80 rue Jean Plana le 29 novembre 2003 à 16h30. Le discours des deux conférenciers fut le même que celui qu'ils exposèrent la veille à la maison de la radio, où deux rescapés de ma connaissance se trouvaient. Pour anecdote, ces dernièrs se virent tout d'abord refuser l'entrée car ils n'étaient ni invités ni journalistes. Ils durent ensuite laisser leur nom à l'entrée et s'engager à ne faire aucune intervention, n'étant pas journalistes.

Dans les deux cas, la salle était acquise au discours révisionniste, puisqu'à la maison de la radio se trouvait entre autre la fille de l'ancien président et qu'à Toulouse se trouvait Nzaramba, secrétaire d'ambassade à Paris en 1994, dont la famille bénéficie du droit à l'asile politique, qui pour l'instant lui est refusé, vu les propos ouvertement racistes qu'il tint pendant le génocide. Se trouvaient aussi, entre autres proches du régime Habyarimana, deux miitaires ex Far, bénéficiant du statut de réfugié en France, dont l'un était officier supérieur.

Charles Onana et Robin Philpot furent présentés comme journalistes d'investigatione et de renommée internationale par monsieur Nzaramba. Un professeur du mirail fut le médiateur :selon ses dires, il n'avait lu aucun des livres des conférenciers. Chacun parla vingt minutes.

Philpot a commencé son discours par un réquisitoire contre ce soi-disant spécialiste de l'Afrique des Grands Lacs, Jean-Pierre Chrétien qui avait exercé de nombreuses pressions, avec l'aide du CNRS, pour qu'ils ne figurent pas au festival du scoop et du journalisme, organisé à Angers. Chaque fois qu'on l'empêcherait de parler une fois, il parlerait deux fois, a-t-il déclaré.

Le terme de génocide fut soigneusement évité, il parla de "tragédie rwandaise", d'"évènements tragiques" de "drame".

Sa mission fut de débusquer tous les mensonges de la presse, de l'onu, d'Alison des Forges etc, le plus gros mensonge étant "la version officielle des sinistres Hutu contre des innocents Tutsi avec l'aide de la France complice".
Sa théorie est que ce crime est à cent pour cent américain et que le TPIR est le seul moyen que le gouvernement américain ait trouvé pour combattre poliement leur ennemi. Il déplora par ailleurs qu'on puisse le taxer de négationniste, lui qui ne cherche qu'à rétablir la vérité , à debusquer des gens comme Roméo Dallaire qui dans son livre, encore indisponible en France "J'ai serré la main du diable", profère des mensonges sans rien connaitre de l'Afrique. Onana abonda sans ce sens, lui ne cherche, selon ses dires, que la réconciliation du peuple rwandais.

Nous étions heureusement quelques-uns à orienter les questions; car lorsque le débat débuta, les contrevenants prirent la parole.
Une rescapé reprit l'intitulé du débat en se demandant puisqu'ils s'agissaient d'idées reçues, par qui ils les avaient eux-mêmes reçues. Je pris,à mon tour la parole, d'une voix étranglée par l'émotion; je fis remarquer qu'aucune fois le terme de génocide des Tutsi n'avait été prononcé; j'ai briévement rappelé la définition juridique de génocide que donne Yves Ternon, citant par ailleurs celle qu'il donne du négationnisme : "quelque soit le mode de négation adopté, il recourt aux mêmes artifices dialectiques dont le plus ignoble est le retournement des victimes en coupables. L'innocence des victimes (elles n'ont pas nui, elles ne sont pas en mesure de nuire) est niée dans tous les cas. Les négationnistes accusent les victimes soit d'invoquer de prétendus meurtres, soit de les avoir poussé à les tuer. Ce qui retourne un meurtre prémédité d'avance en légitime défense."
J'ajoutai que la préméditation du génocide, son oganisation et son exécution avaient été avouées par Jean Kambanda, premier ministre rwandais du gouvernement intérimaire lors de son procès; et que Michael Hourigan, qu'Onana avait cité à propos de sa thèse sur l'attentat du falcon 50, n'était lui nullement négationniste puisqu'il reconnaissait la réalité du génocide et la responsabilité du Hutu Power, dans une intervention à la télévision canadienne en mars 1999.
Je me demandai aussi pourquoi ils oubliaient d'évoquer la politique raciale mise en place depuis 59 et tous les pogromes qui l'accompagnèrent. Je finis enfin, en disant que même si le FPR avait fait partie des organisateurs de l'attentat, en quoi cela pouvait-il justifier le génocide de plus d'un million de personnes pour ce qu'ils étaient ni le massacre de ceux qui representaient l'opposition; comment un enfant ou un vieillard pouvaient-ils être tenus responsables de cet attentat?
Je regrettais qu'une fois encore un lieu religieux puissent accueillir de tels propos outrageants pour la mémoire de tous ces morts. Onana se fit alors un plaisir d'attaquer la forme de mon discours, et en particulier l'émotion qui l'accompagnait.

Je n'étais pas rwandaise, lui ne se permettait pas de s'émouvoir à la place des victimes. S'il critiqua la forme, il ne s'attaqua en rien au fond, sinon pour dire que j'avais préparé ce discours, que je lisais mes notes et que j'étais donc venue dans un but précis.

Le médiateur fit tout de même remarquer qu'effectivement l'attentat ne pouvait justifier le massacre d'innocents.

Dans la salle, un ancien proche du pouvoir m'accusa d'être embrigadée par ceux qui font du génocide leur fonds de commerce, en citant un proverbe rwandais qui dit que celui qui est plus compatissant que la maman de l'enfant veut le bouffer.
Un autre intervenant nota alors qu'il s'étonnait du peu de compassion qu'eux-mêmes montraient et que cela était tout simplement humain et universel de pouvoir en ressentir.

Des africains prirent la parole en disant que la réconciliation ne pourrait se faire que si chacun assumait ses responsabilités, en arrêtant de countourner le terme de génocide. La dernière intervention de cette rwandaise rescapée fut applaudie par toute la salle : elle dit qu'il ne servait à rien de se focaliser sur le commanditaire de l'attentat, que la vérité étant dans les mains de gouvernements peu enclins à la voir en face, il faudrait des années pour la rétablir; il fallait maintenant, hutu comme tutsi, trouver des points de rencontres et de dialogues pour dépasser les clivages en acceptant d'entendre la douleur des Tutsi et les Hutu qui avaient souffert, sans pour autant confondre bourreaux et victimes.

Ce débat fut donc très éprouvant; mais je pense qu'il est nécessaire que nous soyons nombreux à y participer.

Personnellement je ne suis pas sûre d'avoir le courage de recommencer une telle expérience, bien que démissionner me semble devoir donner raison àcette mouvance négationniste.

M-V Roux