A l'occasion du Xème anniversaire du génocide au Rwanda :
il faut en finir avec la politique française en Afrique !

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On s'insurge beaucoup en France de l'impérialisme américain dans le monde, et on oublie beaucoup l'impérialisme français ; pourtant, les USA ne sont hélas pas le seul État à faire régner la terreur au-delà de leurs frontières. La France s'y prend également fort bien : notre petit pays sait faire autant de dégats à l'échelle internationale que son grand cousin ! Sans même parler de sa politique de soutien à la junte birmane ou aux dictatures laotienne ou chinoise, ou encore à la plupart des démocratures d'Amérique latine, évoquons simplement ses interventions en Afrique : l'association Survie estime à près de 10 millions de morts, dans les dix dernières années, le nombre des victimes directes (par massacres, assassinats, génocides) des politiques de l'État français, sans parler des « morts indirectes » (par famines, épidémies, absences de soins, etc., dues notamment au fait que les économies africaines sont pillées, dévastées, exsangues).

C'est que, depuis quarante ans, la politique française en Afrique vise essentiellement à exploiter ses ressources naturelles et géopolitiques. Les profits sont immenses. C'est pourquoi les armes importent peu : la corruption, le meurtre, la manipulation et la guerre. Loteries aux amputations, tortures, viols, disparitions forcées, emprisonnements : tout est valable. La France, « patrie des droits de l'Homme », a par exemple soutenu par tous les moyens les inspirateurs et auteurs du génocide rwandais.

C'était il y a dix ans.Plus d'une vingtaine de réseaux politiques, d'officines mafieuses, de filières occultes, se partagent aujourd'hui le gâteau du protectorat néoconial de la France en Afrique. A peine 2 ou 3 % de l'aide publique française au développement sert réellement à combattre la misère infligée à des dizaines de millions d'humains. La majeure partie sert à financer les dictatures « amies », des opérations commerciales des grosses entreprises françaises, ou bien tout bonnement les partis politiques de gouvernement en France, qu'ils soient de gauche ou de droite.

L' « opinion » française est ce qu'en font les médias, et la population française, passive, n'est pas informée des agissements en son nom de « ses » élus, de « ses » chefs d'entreprises, etc. De toute évidence, ça l'arrange. En fait, appeler démocratie un régime capable de mettre des moyens considérables dans le soutien à un génocide, sans que les gouvernés ne le sachent ni ne cherchent à le savoir, pose en soi un problème.

Insistons un peu (brièvement tout de même) sur les complicités françaises dans le génocide au Rwanda, dont ce sera bientôt, en avril 2004, le dixième anniversaire. Elles constituent un bon exemple de cette continuelle politique française en Afrique.

Le génocide au Rwanda (avril-juin 1994) :

Rwanda 1994, le dernier génocide du XXe siècle : une grande partie des victimes ont été torturées abominablement avant d'être tuées de la plus effroyable manière. Il s'agit du génocide généralisé de plus d'un million de Tutsi et des massacres systématiques de dizaines de milliers de Hutu accusés d'être leurs complices. Les armes (des machettes, surtout) ont été achetées avec le soutien financier de la France, qui a également financé le renforcement de l'armée rwandaise génocidaire, et dont des officiers ont entraîné les milices meurtrières. Des membres de l'armée française étaient présents au Rwanda pendant les massacres et participaient parfois aux contrôles racistes et dénonçaient à leurs tortionnaires des rescapé-e-s venu-e-s naïvement chercher une aide désespérée auprès d'eux !

De fait, pendant tout le temps que dure l'extermination, on assiste au soutien concret de la France au gouvernement intérimaire qui mène le génocide au vu et au su de la communauté internationale : ce gouvernement génocidaire se constitue au sein même de l'ambassade française ! Fin avril 1994, le général français Huchon prodigue des conseils aux génocidaires pour « retourner l'opinion » en leur faveur. François Mitterand, qui suit jour après jour toute l'affaire, déclare à ses proches : « dans ces pays-là, un génocide, ce n'est pas trop important ». La France et d'autres pays du Conseil de sécurité de l'ONU obtiennent de l'ONU la décision de retirer ses troupes du Rwanda, au moment même où elles auraient pu enrayer l'entreprise d'extermination ; les diplomaties française et américaine à l'ONU résistent aussi longtemps que possible à la qualification de génocide des événements, afin d'éviter l'obligation d'intervenir ; puis, lorsque les génocidaires devront militairement battre en retraite devant leurs adversaires, ce sera encore la France qui obtiendra de l'ONU d'envoyer une force armée d'interposition (ce sera l'opération Turquoise) qui permettra aux génocidaires de s'enfuir et de continuer de ci de là à massacrer dans les zones qu'elle contrôle ! Dans cette prétendue « zone humanitaire sure », Radio Mille Collines continuait de diffuser ses appels à « éradiquer les cafards ».

La complicité des médias français à la politique du gouvernenemt et à celle du Hutu Power est généralisée : aussi longtemps que cela restera possible, il n'y aura aucune fausse note dans un concert de légitimation de ce « nazisme tropical », dont un ministre est accueilli en France bras ouverts dans le même temps que d'innombrables charniers se remplissent, que les fleuves charrient des dizaines de milliers de cadavres. Jean d'Ormesson parle en esthète dans le Figaro de «massacres grandioses dans des paysages sublimes ».

Après le génocide, la France (ainsi d'ailleurs que le Vatican, très actif lui aussi) sauvera et accueillera des génocidaires et se fera l'écho des thèses révisionnistes, voire négationnistes.

Comment en arrive-t-on là ? retour sur le passé...

Le désir d'émancipation des anciennes colonies émerge fortement dès la fin de la seconde guerre mondiale, renforcé non sans arrière-pensées par les États-Unis et l'URSS. La pression politique est forte pour De Gaulle. Mais il ne souhaite pas l'indépendance de l'ancien empire colonial français, et ce pour au moins cinq raisons :

- deux raisons politiques : garder un cortège d'États clients (un réservoir de votes) permettant à la France d'occuper une position importante dans les institutions internationales ; tenir la place assignée à la France dans la "Guerre froide", en évitant la propagation du communisme dans les anciennes colonies.
- deux raisons économiques : l'accès aux matières premières stratégiques comme l'uranium ou le pétrole ; la perpétuation des rentes des sociétés coloniales (cacao, banane, bois, café, etc.).
- une raison supplémentaire : le détournement des rentes africaines pour financer son propre mouvement gaulliste (via des circuits qui irrigueront par la suite les autres partis de gouvernement, de gauche ou de droite, ainsi que l'extrème-droite!).

Politiquement acculé, de Gaulle enclenche le processus de décolonisation dans les années 60. Mais, tout en proclamant ce nouvel état des relations internationales, il s'emploie à maintenir les pays d'Afrique francophone sous la tutelle française par un ensemble de moyens occultes.

Sa principale stratégie sera la mise en place de dirigeants africains favorables à la France par l'élimination physique des leaders indépendantistes ou des élections truquées. Bon nombre des chefs d'État choisis ont été formés dans les écoles françaises de sous-officiers ou d'officiers. Plusieurs appartiennent aux services secrets français. Des accords militaires secrets sont passés avec les dirigeants de ces pays officiellement indépendants. Depuis plus de quarante ans, les pays francophones au sud du Sahara vivent avec des accords de coopération, notamment monétaires et militaires, conçus comme s'ils ne devaient jamais être indépendants.

Se met ainsi en place un réseau contrôlé et entretenu par une série de correspondants : officiers des services secrets, hommes d'affaires, fonctionnaires, conseillers de tout poil. Chaque président africain est chaperonné par un colonel des services secrets français, soi-disant chargé de sa sécurité, et de multiples conseillers. Par exemple, tous les conseillers du président ivoirien Houphouët-Boigny étaient français.

Encouragée entre autres par l'impulsion américaine, la notion de « développement » émerge avec le mouvement de décolonisation : les pays industrialisés occidentaux doivent aider les pays sous-développés. Comme la plupart des pays de l'OCDE, la France met en place toute une gamme d'institutions chargées de la coopération et du développement. Les dépenses affectées à cet effet sont rassemblées sous l'appellation « Aide Publique au Développement » (APD). L'État français y consacre 30 à 40 milliards de francs (4 à 6 milliards d'euros environ) chaque année.

Loin d'oeuvrer pour le développement, cette APD a en réalité plusieurs fonctions :

- maintenir en place les régimes « amis » et si possible étendre l'influence de la France en Afrique.
- favoriser le détournement des ressources africaines.
- aider à vendre un certain nombre de productions françaises.

L'association SURVIE estime que la moitié du total de l'APD est directement détournée et que moins de 2 % sert effectivement à réduire l'extrême misère de plus d'un milliard d'humains.

En réalité, le « développement » économique, social et politique est au contraire littéralement saboté. Malgré les dépenses gigantesques officiellement consacrées aux États d'Afrique francophone, la situation de ces pays après quatre décennies de "coopération" est révélatrice : on devine que la rente a très peu profité aux populations. Pire, leurs dettes sont gigantesques.

Pendant toute cette période, les discours des différents gouvernements se sont drapés de vertu : la France « meilleure amie de l'Afrique et du développement », les droits de l'Homme, la grandeur culturelle, la Francophonie, la lutte contre l'influence hégémonique anglo-saxonne, etc. Notons à ce propos que même si le gouvernement affiche une distanciation avec les États-Unis, les passerelles entre les services secrets, les hommes d'affaires ou les militaires français et américains sont beaucoup plus fortes que l'on ne l'entend dire. Les réseaux franco-africains sont en lien étroit avec le dispositif clandestin de la Guerre froide : la France joue son rôle dans l'échiquier géopolitique occidental.

En plus des trafics de drogue et du blanchiment d'argent via les loteries, casinos ou paris hippiques, quantité de PME et de petites entreprises (fournitures, armements, trafics divers) financent les services secrets. Une partie des fonds gigantesques de la rente du pétrole ou des matières premières, et des commissions sur les ventes d'arme, est récupérée par ces services qui multiplient ainsi par trois ou davantage les crédits votés à leur intention par le Parlement français.

La convertibilité du franc CFA et la prolifération des paradis fiscaux permettent enfin la multiplication des circuits parallèles d'évasion de capitaux et de blanchiment d'argent en toute opacité.

Pendant le règne de Giscard, le réseau initial, dont la stratégie de « raison d'État » était directement contrôlée par l'Élysée et sa fameuse cellule africaine, va se dissoudre en une quinzaine de réseaux ayant chacun ses propres stratégies. La politique africaine de la France semble alors ne plus relever de décisions centralisées, aussi criminelles soient-elles, mais être le résultat aléatoire d'un jeu de fléchettes autour d'enjeux alléchants : détournement de l'APD ou de la rente des matières premières, financement parallèle de la vie politique française, "terrain de jeux", de primes et de promotions pour les militaires, blanchiment d'argent, trafic d'armes et de drogues, etc.

Ce gateau attire une multitude d'acteurs entremêlés :

- Les réseaux politiques français (Chirac, Pasqua, Madelin, Roussin,Roccard, etc.).
- Les services secrets
- Le lobby militaire
- Des multinationales (TotalFinaElf, Bouygues et Suez (BTP, eau), Bolloré (transports), Rougier (bois), Pinault (distribution), Castel (boissons), etc.)
- L'extrême droite
- Un certain nombre d'excroissances de la franc-maçonnerie
- Des sectes comme la Rose-Croix ou les Templiers
- Ajoutons des ONG de façade, des trafiquants en tout genre et bien sûr la mafia transnationale.

Ces réseaux s'entremêlent. Des « solidarités » initiatiques se sont tissées entre la classe politique, la hiérarchie militaire, les Services, la justice, les médias, les groupes industriels, la haute finance, les administrations. Elles sont un gage d'assistance mutuelle et d'omerta.

La Françafrique, c'est tout un système de connivences entre des potentats africains installés ou protégés par Paris, et leurs parrains français, politiques, militaires et financiers.

Un bilan partiel, provisoire, de la Françafrique

En quarante ans, ce sont des dizaines de millions de morts, des centaines de milliards détournés, des peuples maintenus sous le joug de dictatures sanglantes, des économies réduites à peau de chagrin. Voyons un peu :

- Génocides, massacres, tortures : notamment, massacre des Bamilékés au Cameroun de 1957 à 1970 (des centaines de milliers de victimes), complicité de génocide au Rwanda en 1994 (au moins un million de morts), litanie de massacres au Tchad (au moins 100 000 morts depuis 1980, des dizaines de milliers de personnes violées et torturées), soutien aux politiques d'extermination dans le Sud-Soudan (deux millions de morts depuis 20 ans), et plus généralement installation, formation, équipement et absolution de polices tortionnaires, de gouvernements se maintenant au pouvoir par des politiques criminelles de masse, etc.

- Des assassinats de personnalités symbolisant l'émancipation de l'Afrique : les présidents togolais et burkinabè Sylvanus Olympio (1963) et Thomas Sankara (1987), l'assassinat en plein Paris de l'opposant tchadien Outel Bono (1973) ou de Dulcie September (1988), représentante du parti anti-apartheid de Nelson Mandela, etc. Sans compter les innombrables assassinats ou morts sous la torture de "gêneurs" ordinaires, tel le journaliste burkinabè Norbert Zongo (1998), et, de ci de là, des assassinats aussi de ressortissants français (juges, coopérants, etc.).

- Des guerres : notamment, guerre du Biafra en 1967, guerre civile en Angola de 1975 à 2001, au Liberia entre 1989 et 2003, en Sierra Leone depuis 1991, au Congo-Brazzaville (1997-2003). Quelque trois millions et demi de morts au total. La France dans de nombreux cas de conflits n'hésite pas à armer les deux camps : les bénéfices sont doublés, et « on » est sûr de gagner sur tous les tableaux.

- L'investiture démocratique des dictateurs par un truquage systématique des élections (au Cameroun, au Togo, au Tchad, au Gabon, à Djibouti, en Mauritanie, au Congo-Brazzaville, etc.).

- La prédation des richesses pétrolières, minières et agricoles, remplacées par une dette abyssale.

- Le « gel » de tout développement économique, social et politique, afin que nulle opposition ne trouve les moyens de se développer.

Tous les Présidents de la République et les Premiers ministres depuis 1958 tolèrent parfaitement ce système d'emblée criminel, devenu chaotique et incontrôlable, dont les caisses noires sont phénoménales. L'opposition gauche/droite est largement dépassée. Presque toutes les personnalités de ces partis « de gouvernement » - c'est-à-dire la droite et le PS - sont pris dans l'engrenage françafricain.

« Plus jamais ça ! », une invocation creuse ?

Il faut arrêter dans ces conditions de tant s'indigner de l'impérialisme américain, et de si peu se pencher sur la politique de notre État : une telle dénonciation sélective frise la complicité ! La critique des États, et tout particulièrement du nôtre, ne doit pas non plus s'arrêter à ce qui se passe sous nos yeux, en Métropole, qui n'est pas toujours le plus important ou le plus urgent ! Le capitalisme, l'impérialisme et le fascisme français, ce n'est pas en France qu'ils trouvent leur expression la plus achevée, mais dans nos (néo)colonies (ou nos DOM-TOM, d'ailleurs, comme en Guyane).
Il faut que la question de la politique étrangère de notre pays devienne enfin une question publique, centrale, objet de débats politiques elle aussi ! Même s'il s'agit de la face cachée de l'iceberg, c'est bien là que tout se joue, et que se trouve le centre de gravité de la vie politique française !

Nos démocraties occidentales sont coutumières de crimes à grande échelle. Le phénomène est trop général pour que l'on puisse croire à des accidents. Le problème n'est pas celui d'individus qui abuseraient indûment des responsabilités qui leur sont confiées. Si des pratiques telles que celles de la Françafrique perdurent depuis si longtemps, si on en retrouve de similaires dans presque tous les pays occidentaux, c'est parce que les institutions politiques de ces pays les permettent, voire les favorisent. Nos démocraties représentatives ont pour conséquence de créer une classe dirigeante à qui elles donnent tout pouvoir. Elle est composée des gens qui sont les décideurs dans les domaines politique, économique, militaire, journalistique, etc. Il n'y a tout simplement aucune raison de penser que leurs intérêts sont les mêmes que ceux du reste de la population.
Dans ces conditions, tolérer ce système, c'est non seulement renoncer à décider pour soi-même, mais c'est aussi accepter que des crimes comme le soutien au gouvernement génocidaire rwandais soient commis en notre nom, c'est en accepter une part de responsabilité.

Agir dans nos pays est une nécessité qui peut s'avérer vitale pour les millions de personnes qui sont aujourd'hui à la merci de nos dirigeants. La lutte contre notre propre complicité est politique, bien sûr, mais aussi sociale et culturelle. Nous ne savons pas vraiment comment établir des contre-feux. Nous ne le saurons qu'en essayant. La première chose à faire est de toute façon de rendre public, partout où faire se peut, la réalité de cette politique française.

Pour l'instant, pratiquement seule l'association Survie travaille vraiment sur la question de la politique française en Afrique (et fait un travail fantastique !), mais que peut-elle si personne ne se soucie de relayer l'information ; si nous ne nous y mettons pas aussi, qui s'y mettra ? Nous autres professeurs n'avons pas à demeurer complices, par le silence ou l'indifférence, de la politique criminelle de nos gouvernements. Bien au contraire, notre rôle auprès des élèves doit être l'information, ainsi que l'éveil de l'esprit critique, l'indépendance d'esprit par rapport aux pouvoirs, quels qu'ils soient, et tout particulièrement ceux qui s'exercent en notre nom. Notamment, en avril 2004, nous sommes au dixième anniversaire du dernier holocauste en date. Dix ans plus tard, alors que nous avons maintenant depuis des années des informations clés à disposition, n'est-il pas temps de réagir ?

Article écrit par Yves Bonnardel et Sem Laforêt,
en adaptant librement des textes de Survie
et la postface de Un génocide sans importance (éd. Tahin party, 2002, 3 euros), avec leur accord.

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Pour de plus amples infos, lire de Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise (éd. L'esprit frappeur, 2002, 10 euros), ou bien encore, de Verschave, Françafrique, le crime continue (éd. Survie, 2002, 2,3 euros), disponibles à la Fédération SURVIE:

01 44 61 03 25
survie@wanadoo.fr
http://www.survie-france.org/

Voir aussi : http://rwandap.free.fr/
ou bien encore : http://www.enquete-citoyenne-rwanda.org/