Etude 2003 " Intolérance et violences à l’égard de l’islam dans la société française "

http://www.commission-droits-homme.fr/travauxCncdh/intoleranceIslam.html

Note de présentation

Dans le cadre de son Rapport 2003 sur la lutte contre le racisme et la xénophobie, qui sera remis au Premier ministre en mars 2004, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a décidé de présenter une réflexion consacrée au thème : " Intolérance et violences à l’égard de l’islam dans la société française ".

Une étude introductive a été élaborée par la sous-commission " Racisme et xénophobie ", présidée par Mme Martine Valdès-Boulouque. Ce travail collectif a été examiné par l’assemblée plénière de la CNCDH, réunie le 20 novembre 2003.

L’ambition de cette étude est double :

- sensibiliser les pouvoirs publics et l’opinion de notre pays à cette forme de racisme ;

- ouvrir et nourrir la réflexion en proposant un premier état des lieux et en dégageant des pistes de travail.

La CNCDH qui poursuivra ses travaux sur ce thème à partir de ce document a demandé à tous ses membres (associations, syndicats, personnalités qualifiées dans le domaine des droits de l’homme) de lui transmettre leurs contributions écrites, qui seront incluses dans le rapport annuel.

1ère partie : Introduction

La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a souhaité consacrer une étude spécifique aux phénomènes d’hostilité à l’égard de l’islam qui se manifestent dans la société français car ils ont constaté que cette question avait dernièrement émergé sur la scène publique.

En effet, depuis quelques mois, des faits regrettables (profanation de tombes musulmane, incendies de mosquées, violences physiques…), des livres au contenu haineux et de nombreux ouvrages de fond se disputent le terrain médiatique sur le regard que portent nos concitoyens sur l’islam. Le contexte international récent et son retentissement national ont particulièrement nourri cette actualité.

L’objet de cette étude n’est pas de revenir sur les rapports entre islam et laïcité même si certains estiment que le rejet et la stigmatisation dont souffre la religion musulmane ne peuvent être déconnectés de ce débat. La polémique est même intense sur ce point : tandis que Michèle Tribalat trouve malheureux qu’on laisse l’islam s’exprimer bien au-delà des limites fixées par le principe de laïcité, d’autres estiment que c’est cette même vision rigoriste de neutralisation du champ public qui porte atteinte à l’islam et qu’une " réinterprétation " de notre laïcité est aujourd’hui nécessaire.

La CNCDH n’ignore pas ces débats majeurs puisqu’une étude spécifique est actuellement en cours de préparation sur la laïcité, thème au cœur de l’actualité de la rentrée 2003.

 

A travers la présente étude, la Commission souhaite traiter en toute neutralité de ce phénomène d’hostilité subi par les musulmans, le cerner et étudier les rapports complexes entretenus entre racisme, xénophobie et islam. Il s’agit aussi de faire la part des fantasmes et d’identifier, dans ce débat piégé, s’il existe une dimension spécifiquement religieuse qui permettrait d’isoler une réelle " islamophobie ".

De fait, depuis quelques mois, certains parlent en France d’une " islamophobie " grandissante comme pour répondre, dans une pseudo-symétrie, aux discours sur la nouvelle judéophobie, notion portée par P-A Taguieff. Des ouvrages de V.Geisser ou de M.Wieviorka qui viennent de paraître, ainsi qu’un récent colloque du MRAP ont largement mis en avant cette notion d’" islamophobie ". Le Premier ministre J-P Raffarin a lui-même repris ce terme dans son allocution à la Grande Mosquée de Paris le 17 octobre dernier. Pourtant, cette notion ne semble pas avoir trouvé de définition précise et arrêtée et nous verrons qu’elle tend souvent à se confondre avec le racisme anti-maghrébin.

Il s’agit donc pour la CNCDH de définir cette défiance à l’égard de l’islam et de rassembler les faits qui permettraient de mesurer son évolution dans la société française. On peut noter qu’il est particulièrement difficile de faire un bilan des manifestations actuelles car les sources objectives dont on peut disposer sont rares.

Il s’agit aussi d’explorer les différentes pistes de réflexion existantes sur les causes et racines de ce phénomène de rejet.

Enfin, nous tenterons de dresser un inventaire des actions de lutte contre cette hostilité polymorphe et des " bonnes pratiques " pouvant être étendues dans un contexte d’inscription irréversible de l’islam dans le paysage français.


I) Le problème sémantique

Quelle définition de " l’islamophobie " ?

Une Terminologie problématique

La France est le pays européen qui connaît la plus forte population d’origine musulmane. Mais, les chiffres réels du nombre de croyants musulmans et de musulmans pratiquants sont impossibles à établir (faute de catégorie statistique). Il ne s’agit donc que de projections plus ou moins hasardeuses établies sur la base de l’origine des populations immigrées de France. Le nombre de musulmans pratiquants a ainsi été évalué en France à 1 million par le Haut Conseil à l’Intégration.

Ces populations d’origine immigrée étaient jusque là victimes de racisme ou de xénophobie au sens le plus classique (voir les rapports annuels de la CNCDH).

Mais avec la conjonction d’un contexte international délicat jetant la suspicion sur le groupe des musulmans, avec la poussée des revendications religieuses de ces mêmes musulmans (souvent citoyens Français issus de la 2è, 3è générations, en tout cas résidents permanents), on a parlé dans les média d’un nouveau phénomène, repris dans les analyses de certains experts : " l’islamophobie ".

Ce terme d’" islamophobie ", récemment apparu en France au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, est utilisé depuis longtemps –et pas toujours à bon escient- par différents organismes internationaux comme les Nations Unies, le Conseil de l’Europe et plus récemment par l’Observatoire des phénomènes racistes et xénophobes et la Commission européenne.

En réalité, il semble particulièrement difficile de circonscrire dans les faits " l’islamophobie ", ce sentiment vient souvent se confondre avec d’autres : " arabophobie ", racisme anti-maghrébin.

Pour certains, ces préjugés qui entourent l’islam ne sont bien souvent que de nouvelles justifications qui viennent se fondre dans des phénomènes anciens déjà connus de discrimination et de racisme. On observe bien un glissement sémantique. Le fait que cette " islamophobie " pèse principalement sur les personnes d’origine maghrébine, et non sur l’ensemble des musulmans (et par exemple, les nombreux musulmans originaires d’Afrique noire), étaye cette interprétation. On craignait et rejetait auparavant les " immigrés ", puis les " Arabes " voilà maintenant qu’il s’agirait de " musulmans ". On constate ainsi un glissement des graffitis : de " Les Arabes, dehors !" à " Islam, dehors ! ".

Le fonctionnement symbolique de la double désignation raciale (l’Autre en tant qu’Arabe) et spirituelle (L’Autre islamique) est clair. Certains auteurs font le parallèle avec la double figure du peuple juif à laquelle viendrait s’ajouter celle de l’Oriental dont on craint aussi les complots internationaux, le pouvoir financier.

" L’islamophobie " ne serait alors qu’un nouveau processus de légitimation de l’ethnicisation de l’Autre, de son Alterité. Et ce, alors que la population d’origine maghrébine est pour une grande part intégrée au point de partager les mêmes pratiques sociales et de connaître un nombre d’unions mixtes important.

D’ailleurs, nombreux sont ceux qui, à l’instar de la LDH, récusent ce terme d’" islamophobie ". Selon la Ligue, c’est une nouvelle manière de voiler le cœur des problèmes rencontrés par les populations arabo-musulmanes, à savoir l’exclusion économique et sociale et la ségrégation. On se préoccupe en effet souvent des maux pour moins étudier et s’attaquer aux causes. La ségrégation dans ces quartiers ghettos envahis par une violence qui effraie toute la société française n’est-elle pas le ferment d’une peur, de l’amalgame et du rejet de ces populations par une partie de l’opinion publique ?

Il existe une relation complexe, qu’on ne peut nier, entre origine ethnique/religion/politique d’intégration/lutte contre les discriminations et exclusion sociale.

Par ailleurs, il faudrait constamment veiller à ne pas faire l’amalgame entre " Arabe " et " musulman ". Non seulement parce que les catégories ne se recoupent pas : de nombreux musulmans sont d’origine africaine, turque ou tout simplement française (convertis notamment) et certains Arabes sont chrétiens (même s’ils sont rares en France) ou tout simplement athées. Mais surtout parce qu’il ne faudrait pas réduire les problèmes rencontrés par les Maghrébins (Arabes et Kabyles composent, il est vrai, la majorité des musulmans de France) aux problèmes rencontrés spécifiquement par les musulmans en tant que tels.

Enfin, il apparaît que certains courants intégristes tentent d’obtenir la requalification du racisme anti-maghrébin en " islamophobie " pour mieux tirer bénéfice des frustrations, jouer sur les replis identitaires religieux de la population d’origine maghrébine et faire du religieux le critère absolu de différenciation, de partage. Il faut donc manier ce terme avec la plus grande précaution.

Comment définir " l’islamophobie " ? Une définition impossible ?

Il paraît évident que le contexte international nourrit l’hostilité latente à l’égard de l’islam. Le 11 septembre a créé de ce point de vue un véritable électrochoc avec le retour de la crainte de réseaux dormants islamistes. Mais ce contexte international a souvent renvoyé l’image d’un islam militant et violent: révolution iranienne, guerre civile en Algérie, attentats du GIA en France en 95, régime taliban…

Les dispositifs de sécurité exceptionnels, accentuant la surveillance et le contrôle mis en place en France comme dans toute l’Europe après les attentats du 11/09, sont venus renforcer cette suspicion.

 

Etymologiquement, on pourrait définir " l’islamophobie " par la peur irraisonnée et le rejet global de l’Islam " à la fois religion, mode vie, projet communautaire et culture ".

Pour le Centre pour l’Egalité et la Lutte contre le Racisme de Belgique, " l’islamophobie ", c’est " la haine, le rejet d’un islam réduit à une essence maléfique alors que l’islam est de fait pluriel tant aux niveaux social, géographique, historique que culturel. Cette haine est alimentée par des préjugés et stéréotypes négatifs qui, le plus souvent, pratiquent l’amalgame entre culture et religion ".

Il s’agirait d’une peur qui empêche le contact, l’échange et le dialogue et qui fait de son sujet, le musulman, le bouc émissaire, porteur de tous les maux de la société et du monde, et de l’Islam le fossoyeur de la raison.

En aucun cas, on ne peut systématiquement assimiler une critique de la religion islamique à un rejet global de l’islam. On ne peut confondre l’" islamophobie " et la dénonciation de l’islamisme qui vise à contrer une vision idéologique et politique de la religion musulmane débouchant sur une contestation du pouvoir et sur la volonté d’établir un Etat islamique.

Pour le MRAP, " l’islamophobie ", c’est " une peur illégitime de l’Islam " qui prolonge le racisme anti-arabe. Le lien que nous avons tracé ci-dessus avec d’autres notions est à nouveau souligné.

Pour certains, " l’islamophobie " recoupe l’exclusion, la violence, les préjugés véhiculés par le tout un chacun et les média, les discriminations. Si l’ensemble de ces situations peuvent être effectivement basées sur des préjugés anti-musulmans, elles sont rarement basées sur cet unique critère, même si la discrimination religieuse existe et concerne en priorité les musulmans.

Certains, comme Vincent Geisser, vont plus loin en mettant en cause l’attitude de représentants d’un islam moderne et de personnalités politiques issues de l’immigration maghrébine qui, par leurs critiques virulentes des islamistes et des courants néo-conservateurs de l’islam, feraient le jeu de cette " islamophobie ". Il est impossible d’entériner cette vision qui vient délégitimer toute prise de parole de dénonciation de ces mouvements radicaux. Les individus qui critiquent l’immixtion de l’Opus Dei dans les affaires publiques de certains Etats ou qui luttent contre l’influence et les revendications des catholiques intégristes de Saint Nicolas du Chardonnay ne véhiculent pas une hostilité générale à l’égard du catholicisme. De même, pour ceux qui fustigeaient les prises de position du Pape Jean-Paul II sur la contraception, le préservatif ou l’homosexualité. Ceux qui refusent une vision religieuse totalisante coupée du monde moderne, ceux qui luttent contre un ordre moral réactionnaire que certains voudraient imposer, ceux qui refusent une interprétation coranique qui fait de la femme un être soumis, frappé de l’impureté, ne se situent pas forcément dans une dénonciation globale de l’islam et des musulmans. C’est même parfois en musulmans, dans le cadre du nécessaire débat intra-religieux, que ces personnalités interviennent sur toutes ces questions dans le champ public.

Ainsi, pour M. Dalil Boubakeur Recteur de la Grande Mosquée de Paris et par ailleurs Président du Conseil Français du Culte Musulman, " la France n’est pas globalement hostile à l’islam. Il s’agit surtout d’ " islamistophobie ", d’un rejet des islamistes. Et, il est légitime de se méfier de la politisation de l’islam. Ce qui différencie l’islam de l’islamisme, c’est justement le refus de toute implication dans le monde politique. Le rôle de l’islam n’est pas de répondre aux problèmes sociaux ou économiques. La religion fait partie d’une autre sphère et ceux qui veulent trouver des solutions à partir des textes religieux à des problèmes actuels –même identitaires- font fausse route et sont dangereux. Ce type d’attitudes aboutit à terme au communautarisme car il entraîne des replis identitaires contraires à notre esprit d’intégration et favorise l’instauration de petits pouvoirs intra-communautaires ".

Mais il est vrai que l’hostilité qui frappe l’islam -qui pouvait exister avant le 11 septembre- s’est dernièrement vue renforcer par la confusion des termes musulman/ islamique/ fondamentaliste/ islamiste/ terroriste qui est propagée et la peur avec. De fait, sous le vocable d’" islamiste ", on ne désigne plus simplement des mouvements politico-religieux, le terme a été largement étendu aux fondamentalistes, à tous ceux qui ont une interprétation et une pratique rigoriste du Coran. Pour une part même, c’est toute forme d’affirmation islamique qui semble suspectée d’avoir partie liée à l’islamisme politique.

En ce qui concerne la France, une triple suspicion pèserait sur l’Islam, en tant que religion dans un pays fortement sécularisé, en tant que religion des ex-colonies surchargée d’une mémoire d’affrontement et enfin comme " religion terroriste " ou " religion combattante " (Djihad).

Mais, l’hostilité à l’islam est polymorphe, elle naît des représentations fantasmagoriques sur l’islam. Ce qui est en jeu pour certains auteurs, c’est la convergence des acteurs hostiles à l’islam qui, au départ, peuvent être motivés très diversement par la peur du communautarisme que les élites favoriseraient, le combat contre une société multiculturelle ou le traitement sécuritaire de l’islam…

Peut-on distinguer des actes " purement islamophobes " ?

Peu de faits, qui marqueraient une hostilité spécifique à la religion musulmane en tant que telle, sont susceptibles d’être retenus.

L’auteur de violences à l’encontre d’un maghrébin n’a souvent lui-même pas identifié clairement les préjugés qui le motivent au moment où il accomplit son délit, tout se mélange dans l’inconscient du " raciste ".

En effet, les associations, notamment, ont remarqué qu’il n’était pas rare qu’une discrimination, une violence ou une menace…. n’indique pas clairement le présupposé, le préjugé mis en œuvre par son auteur. La victime souvent maghrébine cherche alors à comprendre et de multiples " possibilités " restent ouvertes : xénophobie (quand on est étranger), racisme, et effectivement hostilité religieuse. Mais, rien n’indique bien souvent, chez la personne agressée, sa confession et ses pratiques religieuses. Le faciès reste donc l’élément courant de repérage social pour les racistes.

Enfin, il faut prêter attention au phénomène de victimisation observé notamment dans les établissements scolaires. Il semblerait que certains élèves musulmans aient tendance à expliquer tous leurs problèmes, tous leurs échecs, toutes les discriminations ressenties par " l’islamophobie " des institutions. Les mêmes parlaient auparavant de racisme pour désigner les mêmes phénomènes, les mêmes frustrations.

Pourtant, certains passages à l’acte marquent l’hostilité affichée de leurs auteurs vis à vis de l’islam, en ce sens qu’ils visent de manière violente et sans méprise possible l’islam comme religion et les signes visibles du processus d’implantation du fait musulman dans la société française :

· Tracts anti-musulmans provenant de la mouvance d’extrême droite

· Tentatives d’incendie visant des lieux de culte

· Violences verbales ou physiques adressées à des personnes représentant l’Islam.

· Des personnes ayant été l’objet de propos explicitement anti-musulmans. Les personnes laissant percevoir la nature de leur confession religieuse sont particulièrement visées.

· Des graffitis au contenu explicite ont été constatés…

Mais, même dans certaines de ces circonstances " explicites ", on ne peut écarter le fait qu’il peut s’agir de racisme anti-maghrébin " classique " qui viendrait aujourd’hui se manifester dans une forme anti-musulmane peut-être davantage tolérée dans la société française. Par ailleurs, peut-on affirmer que ce type d’actes –qu’on ne qualifiait pas à l’époque d’" islamophobes "- n’existaient pas il y a par exemple 10 ans de cela ? Est-ce la multiplication de ces actes et leur éventuelle banalisation qui légitime l’émergence de ce terme ?

La Commission a écarté l’utilisation du terme " islamophobie " dans son étude car ce terme prête à controverses. Elle a en effet jugé que cette notion ne pouvait être convenablement cernée et que le rejet de la religion musulmane restait fortement lié en France au racisme patent qui frappe les personnes d’origine maghrébine plus que les autres.

Par ailleurs, la faible visibilité de la religion musulmane dans notre société et les freins éventuels qui sont mis à cette visibilité et à la pratique religieuse viennent sans doute renforcer cette intolérance. De fait, pendant longtemps, les obstacles rencontrés par les musulmans dans l’édification de mosquées marquaient clairement un rejet de l’islam chez les acteurs publics concernés (qu’il s’agisse d’un rejet " personnel " ou " par procuration ", celle des électeurs par exemple). Aujourd’hui, si cette hostilité institutionnelle n’est plus aussi nette, il semble que la religion musulmane ne bénéficie pas en France d’une véritable égalité de traitement du point de vue de l’exercice du culte et de l’expression religieuse.

 


 

II) Evaluer l’hostilité de la société française à l’égard de l’islam et des musulmans

 

Une évaluation difficile

Combien d’incidents anti-musulmans ? Quelle augmentation ? Toutes ces questions ne peuvent trouver de réponses précises faute d’instrument permettant de mesurer ces actes. En effet, le Ministère de l’intérieur et les Renseignements Généraux n’ont pas établi de catégorisation spécifique qui permettrait de distinguer les actes visant l’islam et les musulmans de la totalité des actes anti-maghrébins qui sont eux répertoriés. Peut-être faudrait-il envisager la création d’une catégorie spécifique qui permettrait d’établir plus précisément le nombre d’actes anti-musulmans répertoriés et de constater les évolutions dans le temps de ces actes. Mais, nous l’avons vu, la caractérisation de ces actes ne serait pas aisée.

Dans les établissements scolaires, un logiciel de l’Education nationale est utilisé pour relever les faits de violences. La nouvelle version tient désormais compte du sexe des victimes et des auteurs, ce qui était demandé par de nombreuses associations. Mais, ce logiciel ne permet pas de cerner l’ensemble des actes relevant du racisme et de l’antisémitisme. Ces outils permettraient pourtant d’évaluer l’importance de ces phénomènes en milieu scolaire et de noter d’éventuelles évolutions.

De plus, contrairement aux actes antisémites qui sont rapportés et suivis par les organisations communautaires juives, les faits anti-musulmans ne sont pas encore systématiquement relevés par les associations musulmanes.

Enfin, il faut souligner la distinction entre d’une part, les actes commis –qu’il s’agisse de violences ou de propos- et d’autre part, l’état de l’opinion publique dont on peut percevoir l’évolution à travers les différents sondages réalisés. On ne peut donc induire des propos enflammés de telle ou telle figure médiatique une opinion publique, de même entre le préjugé et la violence, s’intercale heureusement tout le fossé du passage à l’acte, plus ou moins toléré par la société.

Une hostilité à l’islam galopante ?

Opinion publique : une hostilité en diminution

Il est difficile de démontrer le glissement que l’opinion publique aurait effectué sur l’islam. De fait, dans le sondage effectué à l’automne 2002 pour le Rapport 2003 de la CNCDH, les personnes interrogées considéraient à 74% que les Français musulmans étaient " des Français comme les autres ". Mais il est certain que le climat s’est alourdi sur le thème de l’Islam : les questionnements se multiplient sur la scène publique.

On constate, il est vrai, que les clichés sur l’islam sont largement répandus et que l’islam est dans une certaine proportion assimilé à l’islamisme. En effet, quand on demande à un échantillon représentatif de la population française quels sont les mots qui correspondent le mieux à l’idée qu’ils se font de l’islam, on constate la prédominance des mots suivants : " fanatisme ", " soumission ", " rejet des valeurs occidentales ". L’islam a donc bien une image négative teintée de crainte et de peur dans l’opinion publique française. Il est perçu majoritairement comme incompatible avec les valeurs de la République française.

Pour autant, on ne peut certainement pas conclure au vu de l’évolution des résultats des sondages consultés à un rejet avéré et croissant de la population française vis à vis de l’islam.

Au contraire, les associations d’idées entre l’islam et la " soumission ", " le rejet des valeurs occidentales " et le " fanatisme " connaissent un recul net dans l’opinion publique entre 1994 et 2001. L’étude barométrique du sondage IFOP/Le Monde/Europe 1/Le Point de 2001 le démontre : on est passé de 67% à 47% sur le lien islam/" soumission " et de 67% à 50% sur le lien islam/" fanatisme ". Et, ce, alors qu’entre 1994 et 2001 ont eu lieu nombre d’attaques terroristes revendiqués par les islamistes y compris sur le territoire français.

De même, dans le cadre d’un sondage réalisé quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, près de 55% des Français considéraient que " l’islam est une religion tolérante qui doit faire face aujourd’hui à des fanatiques minoritaires " contre 37% qui estimaient que c’est " une religion globalement pas tolérante qui contribue à produire des fanatiques ". On est loin de la généralisation des préjugés attendus. On constate aussi une baisse franche de l’opposition de la population française à l’édification de mosquées en France : 38% y étaient opposés en 1989, 31% en 1994 et 22% en 2001.

De même, " l’élection d’un maire d’origine musulmane dans la commune " d’habitation rencontre l’hostilité de " seulement " 35% de la population française. Cette hostilité dépassait les 60% en 1989.

On peut donc dire globalement que le rejet de l’islam ne connaît pas de hausse brutale dans l’opinion publique. Au contraire, on se dirige plutôt vers plus d’acceptation envers les musulmans et le culte musulman. Certes, " L’opinion accepte un islam de voisinage, de la proximité, plus charnel qu’un islam abstrait, qui continue à inquiéter ". Et, il est vrai que les différences d’opinion sur l’islam sont importantes selon les régions et le type d’électeurs concernés.

On constate de fait que ce sont les électeurs qui marquent une préférence partisane pour l’extrême droite qui ont systématiquement une opinion plus négative de l’islam. Rappelons que c’est ce même groupe qui, dans le cadre des sondages concernant le racisme, fait preuve de la plus grande intolérance à l’égard des immigrés et de leurs enfants. Ce sont les mêmes qui considèrent très majoritairement l’islam comme une religion de fanatiques et qui montrent l’hostilité la plus grande à l’élection d’un " maire d’origine musulmane ", ce qui n’implique ni l’adhésion à la religion musulmane, ni la pratique religieuse mais bien un maire maghrébin. Et, c’est bien la question des origines qui semble ici prévaloir.

En terme géographique, nous verrons que les actes anti-musulmans sont répartis sur tout le territoire. Pour ce qui est de l’état de l’opinion publique, force est de constater que certaines régions se caractérisent par une hostilité à l’islam plus marquée. Les communes rurales semblent poser sur les musulmans un regard sensiblement plus intolérant que les habitants de l’agglomération parisienne. De même, l’Est, le Sud Est et la Méditerranée se démarquent relativement des autres zones par un plus fort rejet anti-musulman. Ces régions ont toutes accordé des scores électoraux importants au Front National lors des dernières élections présidentielles.

Certains événements peuvent, il est vrai, entraîner la crispation médiatique et médiatisée de certains. On a ainsi constaté, dans le cadre du débat portant sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, que certains interlocuteurs justifiaient leurs réticences par le fait que la Turquie est un pays de civilisation et de population musulmane.

La volonté affichée par certains de faire inscrire dans la future Constitution européenne une référence au christianisme a alimenté le débat sur la place de l’islam en Europe.

On a aussi pu noter une multiplication des ouvrages hostiles à l’islam comme celui d’Oriana Fallaci, de Michel Houellebecq ou de Brigitte Bardot. Ces ouvrages polémiques ont remporté des succès en librairie malgré leur contenu contestable. Des plaintes ont été déposées pour incitation à la haine raciale et religieuse contre des auteurs avec des résultats variables. Mais, si ces personnalités jouent un rôle dans la légitimation des pires clichés, elles ne sauraient incarner l’opinion publique française.

Pour une analyse détaillée de l’image de l’islam dans l’opinion publique et de ces évolutions, se reporter à l’analyse de Mme Nonna Mayer contenue dans ce même rapport de la CNCDH.

Des violences visant les musulmans de France

Il est difficile d’évaluer les manifestations concrètes de cette hostilité à l’islam. Nous l’avons dit, nous n’avons pas d’instruments fiables qui nous permettent de lister le nombre d’actes.

C’est évidemment très problématique quand on souhaite étudier les évolutions de ces manifestations. On peut par contre tenter de jauger la situation française en la confrontant à celles d’autres pays.

L’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (réseau Raxen) avait lancé une étude aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001 portant sur les 15 pays de l’Union. Il conclue que " dans tous les pays, une islamophobie latente a mis à profit les circonstances présentes pour émerger, se concrétisant sous la forme d’actes d’agression physique et d’insultes racistes ". De son côté, la CNCDH, dans son rapport 2001, relevait que " l’actualité influe également sur la nature des cibles choisies. En effet, si les Maghrébins et les " beurs " issus de l’immigration étaient jusqu’à présent plus particulièrement visés, ces violences se sont souvent élargies aux communautés arabo-musulmanes ".

Pourtant, comparativement aux Etats-Unis ou à l’Angleterre, la France n’a connu que de faibles réactions anti-musulmanes suite au 11 septembre 2001. Par ailleurs, les média ont su traiter de cet événement avec un relatif doigté et une certaine retenue.

Il s’agit plutôt d’une crise de confiance globale qui jette la suspicion sur les musulmans. Les mesures anti-terroristes adoptées, légitimes devant la menace, ont eu pour certains des effets secondaires pervers en renforçant la suspicion à l’égard des musulmans. On demande ainsi aux musulmans de se justifier continuellement, de démontrer leurs distances vis à vis des islamistes, des terroristes. Cela paraît créer un terrain propice à l’augmentation des discriminations au quotidien.

Les discriminations fondées sur l’appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane semblent en effet avoir augmenté, surtout dans le domaine de l’emploi. Aux lendemains du 11 septembre 2001, de nombreux salariés franco-maghrébins se sont ainsi vus changés de postes (de l’accueil à la surveillance d’entrepôt par exemple), licenciés… notamment dans les domaines de la sécurité et des aéroports.

Pour autant, dans un sondage de 2001, seulement 30% des personnes d’origine musulmane et 19% de la population française avait constaté " une modification des attitudes à l’égard des musulmans de France depuis les attentats survenus aux Etats-Unis ". Parmi ceux qui avaient constaté des modifications, 43% personnes d’origine musulmane pointaient effectivement " un sentiment raciste et discriminatoire plus présent " et 37% notaient " des comportements méfiants, suspicieux ". Et, près de 60% de la population d’origine musulmane se disait inquiète pour l’avenir de " l’augmentation du racisme en France à l’égard des Musulmans ".

Par ailleurs, des incidents anti-musulmans ont pu être distingués dans la liste des actes anti-maghrébins fournie par les RG pour 2001 et 2002. Nous pouvons souligner, avant d’aborder les actes concernant la métropole, que la Corse se distingue comme la région qui compte le plus d’actes de violences contre la population d’origine maghrébine.

En 2001-2002, les violences et menaces racistes ayant pesé sur les Maghrébins ont augmenté, comme en écho à l’actualité internationale du 11 septembre et du Moyen-Orient. Mais on est loin des chiffres constatés dans les années 1991-95 qui correspondent au plus fort de la crise algérienne et des attentats du GIA en France. Le niveau s’est élevé comparativement à la période " calme " de 95-99 mais, comme le souligne le Rapport 2001 de la CNCDH, " la France n’a pas connu […] de vague d’agressions contre les lieux de culte musulmans, des organisations ou des personnes, telle qu’enregistrée par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes dans plusieurs Etats membres ".

Les violences les plus graves émanent pour la plupart de militants d’extrême droite, à l’image des cocktails Molotov projetés contre les mosquées de Méricourt (62) et de Chalons (51) les 25 et 27 avril 2002.

D’autres incidents clairement anti-musulmans ont été repérés cette même année : cocktail Molotov sur le toit de la mosquée d’Escaudin (69) le 24 mars, lettre piégée destinée à une association hébergée dans les locaux de la mosquée à Perpignan le 9 avril, profanation de la sépulture d’un jeune musulman à Lyon le 24 avril, tentative d’incendie d’un lieu de culte à Rillieux le Pape (69) le 27 décembre…

Alors que dans les années 80, les racistes visaient les immigrés à travers des attaques de foyers SONACOTRA, il semble avoir changé de cibles privilégiées.

Des tracts, anonymes ou présentés comme émanant de la communauté musulmane, incitant à la haine et à la violence ont été rédigés et distribués par l’extrême droite. Ils associent délinquance et immigration et présentent l’islam comme une religion sanguinaire. Ces tracts ont été surtout repérés pendant la campagne présidentielle de 2002.

Pour 2003, dans l’attente des chiffres du Ministère de l’Intérieur, on a pu relever dans la presse des incidents anti-musulmans importants. Ils sont dispersés sur tout le territoire et resteraient relativement rares :

profanation de tombes musulmanes au cimetière militaire dans le Haut-Rhin le 7 juillet 2003

Incendie d’un lieu de culte musulman à Nancy en mars 2003

Profanation d’un carré musulman, dans la Meuse en mars 2003…

Mais, il est évident que les actes rapportés par le Ministère de l’Intérieur et la presse sont bien en deçà du chiffre réel, notamment en ce qui concerne les injures ou menaces verbales et les violences légères. La CNCDH a systématiquement relevé dans ses rapports ce phénomène de sous-évaluation pour toutes les formes de racisme.

Pour le MRAP, ce racisme qui pèse sur les maghrébins et les musulmans est sous-estimé. Il dénonce la mollesse des institutions, des associations et des intellectuels sur la prise en compte de la réalité du phénomène.

Même s’il est impossible de noter une évolution statistique des faits, faute d’instrument, il semble que les violences visant les musulmans et leurs lieux de culte aient augmenté dans les faits, sinon la conscience de cette violence et de cette hostilité. Comme nous l’avons déjà dit, le Premier ministre lui-même a dénoncé l’augmentation du phénomène en s’engageant à le combattre fermement. La Commission européenne allait dans le même sens en organisant en février dernier une " table ronde sur l’islamophobie " en partenariat avec Raxen.

Des sites anti-musulmans sur Internet

L’enquête du MRAP " Racisme anti-musulman : du virtuel au réel " démontre que les sites dits anti-musulmans se multiplient sur la toile avec une certaine convergence des nébuleuses néo-nazies, des catholiques extrémistes ou de l’extrême droite pro-Sharon. La guerre en Irak a fracturé cette unité mais de nouveaux sites ont depuis été créés.

Le forum SOS-Racaille, récemment anéanti, est à ce titre exemplaire : entre 2001 et mars 2003, des dizaines de milliers d’internautes ont échangé sur le thème de la hantise d’une invasion musulmane et appelé à la violence contre les musulmans de France.

La plupart de ces sites sont hébergées aux Etats-Unis où ils bénéficient d’une liberté d’expression illimitée. Le portail américain libertyweb.net a même encouragé l’hébergement de sites anti-musulmans.

Le MRAP a ainsi pu repérer que des jets de peintures contre 6 mosquées avaient été revendiqués par les " comités Canal Résistance " sur sos-racaille.org. Deux mosquées ont été effectivement touchées selon le Ministère de l’Intérieur.

Ces sites anti-musulmans sont heureusement peu fréquentés et peu connus du grand public. Néanmoins, Internet apparaît encore une fois comme un outil incontrôlable de propagation d’idées dangereuses, haineuses et violentes qui permet de contourner les obstacles légaux et les interdits fixés par la loi. Plus généralement, Internet est aujourd’hui un vecteur particulièrement dynamique pour les racistes de tout poil, les révisionnistes et les groupes néo-nazis.

 


III) Difficultés à exercer leurs Liberté religieuse et Liberté d’expression religieuse pour les musulmans

Le rapport hostilité à l’islam/ visibilité religieuse

Le degré d’acceptation d’une religion se lit aussi au regard de sa normalisation pour l’opinion publique.

Normaliser le fait religieux musulman, c’est participer à lever des doutes, des ignorances, des méconnaissances, des préjugés qui pèsent aujourd’hui sur la religion et la pratique musulmane.

La reconnaissance éventuelle de l’islam découle assez naturellement du degré de visibilité qu’on lui accorde, de la possibilité pour les pratiquants de vivre leur culte sans suspicion et dans des conditions normales à l’image des autres religions.

Les hésitations, voire les blocages, des pouvoirs publics en matière d’édification des mosquées par exemple participent de cette hostilité vis à vis de l’islam et encourage la stigmatisation. On a ainsi pu voir des maires exercer abusivement de leur droit de préemption pour éviter la construction d’un lieu de culte musulman. Dans les années 80, l’hostilité des autorités atteignait son paroxysme que l’on songe à la destruction d’une salle de prière au bulldozer intervenue en 1989 à Charvieu-Chavagneux ou aux référendums organisés en 1991 par certaines villes sur le projet de construction d’une mosquée dans une ambiance contestable. Certaines autorités sont encore capables de dérapages verbaux, tel le Maire de Nice, Jacques Peyrat, qui écrit que " les mosquées ne peuvent se concevoir dans une République laïque ". On notera aussi la condamnation en première instance du comportement discriminatoire d’un Maire qui donnait des consignes pour réserver le samedi à la célébration des mariages " chrétiens " et pour placer les mariages musulmans à d’autres moments. Mais aujourd’hui, ce type d’attitudes parait heureusement plus rare, les pouvoirs publics semblent avoir compris qu’il fallait au contraire traiter les musulmans en toute égalité et ont depuis établi un dialogue avec les responsables du culte musulman locaux.

Il ne s’agit pas là de faire droit à des revendications religieuses qui seraient incompatibles avec les lois de la République et notamment les autres libertés publiques. La liberté religieuse est en l’occurrence inscrite à l’art 1er de la loi de 1905 instaurant la laïcité.

La Cour de Strasbourg, qui protège le droit à la liberté de religion et le droit de manifester sa religion, inscrits dans l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), a rendu plusieurs arrêts concernant l’islam. Elle a néanmoins admis dans certains cas, conformément au §2 de l’article 9 de la CEDH, certaines ingérences ou restrictions à la liberté de manifester sa religion quand ces ingérences ou restrictions sont prévues par la loi et nécessaire à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé, de la moralité et des droits et libertés d’autrui.

Réticence de l’opinion publique ?

Dans le Rapport de la CNCDH de 1992, les personnes interrogées estimaient à 47% qu’il y avait suffisamment de mosquées en France pour les musulmans pratiquants (27% estimaient qu’il y en avait " trop "). Dans le même temps, elles étaient 50% à trouver " normal " que soient construites des mosquées pour permettre aux musulmans de France de pratiquer leur religion (seulement 42% en 91). Mais toujours en 1992, quand on demande aux sondés s’ils seraient favorables ou non à la construction d’une mosquée " dans leur quartier ", ils s’y montraient opposés à plus de 50%.

En 1995, le rapport de la CNCDH indiquait que 56% des personnes interrogées se disaient plutôt opposées " à la constitution d’un Islam de France comme composante à part entière, de la société française, au même titre que les autres grandes religions ". Il faut noter que cette année était marquée par des chiffres très importants de violences racistes, correspondant à l’actualité difficile de la guerre civile algérienne.

Une question similaire a été posée en 99, 2000 et 2002 dans le cadre du sondage annuel de la CNCDH : " Faut-il faciliter l’exercice du culte musulman en France ? ". Ils sont seulement 27% à se dire " plutôt ou tout à fait d’accord " en 99 et 2000, mais 41% en 2002. Ces chiffres montrent que la réticence diminue et les attentats du 11 septembre 2001 ne semblent pas avoir interrompu ce mouvement. Au contraire, il semble que l’opinion publique comprenne davantage la nécessité de normaliser, d’assurer une visibilité à l’islam dans notre société. De fait, alors que le sondage Ipsos/Le Figaro de mai 2000 donnait 50% de la population " plutôt opposé(e) " à " la construction de mosquées dans les grandes villes françaises " contre 43% " plutôt favorable ", le rapport s’est inversé en mai 2002 dans le sondage Ipsos/LCI/Le Point. Il semble donc que la logique internationale n’affecte pas en France la dynamique de reconnaissance de l’islam comme fait social.

Du côté de la population dite d’origine musulmane, la perception de l’islam dans la société est double. Ils semblent être davantage sensibles au problème de l’exercice des pratiques religieuses puisque ils sont 82% à estimer qu’ " on doit pouvoir vivre en France en respectant toutes les prescriptions de l’islam " alors qu’ils n’étaient que 71% en 1989. En même temps, ils ne perçoivent pas que leur intégration à la société française soit subordonnée à l’abandon de la religion musulmane. L’exigence d’assimilation n’est donc pas perçue.

Assurer l’égalité de traitement entre les religions

De nombreux universitaires et intellectuels préconisent ainsi de faire droit à certaines demandes :

Congés exceptionnels pour les fêtes religieuses

Carrés musulmans non clos dans les cimetières (aménagement possible sur autorisation du maire)

Multiplication des lieux d’abattage rituel

Repas sans porc alternatif dans les cantines

Aumônerie dans les hôpitaux, les prisons et l’armée…

Le fait que la quasi-totalité des associations religieuses musulmanes relèvent de la loi du 1er juillet 1901 et non de la loi de 1905, ce qui ne leur permet pas de bénéficier des mêmes avantages (exonération de la taxe d’habitation et taxe foncière pour les locaux, réceptions des dons et legs exonérées de taxe, possibilité de faire bénéficier d’exonérations fiscales les personnes consentant à des dons manuels) que les associations cultuelles pose problème. De fait, ces associations religieuses musulmanes pourraient bénéficier des avantages prévus par la loi de 1905 et le statut d’association cultuelle mais, dans la pratique, pour des raisons historiques et parce que la plupart d’entre elles ne séparent pas leur fonction cultuelle de leurs activités sociales et culturelles, elles n’y ont pas accès. Il faudrait donc que les Préfets, qui sont compétents pour ouvrir aux associations cultuelles les avantages prévus par la loi de 1905, informent systématiquement les responsables de ces associations de cette possibilité et les incitent à séparer le cultuel du socioculturel, condition indispensable pour bénéficier de la loi de 1905.

Sur toutes ces questions de pratiques religieuses, ce qui fait problème, ce n’est pas tant le conflit avec la laïcité que le manque de dynamisme et le retard pris par les pouvoirs publics pour assurer l’égalité de traitement entre toutes les religions.

Il faut souligner que l’absence de clergé musulman rend problématique la question de la représentativité et l’absence d’interlocuteur ne facilite pas le règlement de toutes les questions ci-dessus abordées. De ce point de vue, la création des conseils du culte musulman à l’échelle nationale comme régionale pourrait constituer une réponse.

En outre, il faut noter les récents efforts des autorités publiques pour reconnaître pleinement l’islam français. Le fait est qu’en à peine plus d’un an, le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur et des Cultes se sont chacun rendus à la Grande Mosquée de Paris. Il s’agit de visites chargées de symboles. Lors de sa visite, J-P Raffarin a d’ailleurs insisté sur la nécessité d’améliorer la liberté d’exercice du culte musulman notamment dans les domaines d’édification des mosquées, de formation des imams et de l’inhumation.

 


IV) Causes et vecteurs de l’hostilité à l’islam

Des origines historiques ?

Le rejet de l’islam et les clichés circulant sur les musulmans ont des origines très anciennes. Certains remontent au clivage fondé au Moyen-Âge entre deux grands ensemble, Orient et Occident, qui ont chacun leur manière d’articuler fidélité religieuse et allégeance politique. " L’Europe occidentale a évolué, dès le début de la christianisation et la fin de l’Empire romain d’Occident, vers la tendance à assimiler communauté politique et spirituelle ", ce principe fut en partie à l’origine de l’inquisition, des conversions forcées, des guerres de religions et notamment des croisades.

Avec la colonisation de la grande majorité des pays musulmans, certains ont considéré l’islam comme une religion de fatalisme et de passivité, par essence fermée au progrès, source des retards scientifiques, économiques et techniques de ces pays. Il fallait donc apporter aux musulmans " les lumières de la civilisation " en échange d’une main d’œuvre peu chère et corvéable à merci. Le statut d’indigène permettait de garder la culture particulière mais les excluait de l’universel, de la citoyenneté. Ces indigènes étaient par ailleurs gérés par des " représentants " désignés par l’administration française.

La décolonisation, particulièrement difficile au Maghreb, a nourri un ressentiment profond à l’égard des musulmans qui auraient injustement chassé des Européens qui jugeaient avoir " beaucoup apporté " à ces pays. La guerre d’Algérie, épisode historique encore mal assumé, cristallise encore aujourd’hui de fortes tensions et rancoeurs. Elle a ouvert une plaie profonde dans l’identité nationale française, avivée par la sédentarisation dans l’hexagone d’anciens colonisés.

L’exploitation des immigrés –les indigènes d’hier, que l’on a fait venir pour leur force de travail, a alimenté une condescendance et un racisme anti-immigré. Contrairement aux ouvriers italiens, espagnols ou polonais, les ouvriers maghrébins n’ont pu mener de combat commun victorieux dans un front ouvrier unifié. " L’immigration coloniale n’a pas assimilé les éléments de la culture ouvrière militante comme l’ont fait les immigrations européennes et, dans la classe ouvrière française, l’anticolonialisme n’a certes pas été l’attitude dominante. ". Les syndicats se sont il est vrai peu mobilisés au départ contre l’exploitation de ces " chairs à usine " naviguant entre internationalisme et protectionnisme et confrontés, dès la fin des années 70, à la crise économique et à la hausse du chômage.

Mais contrairement à hier, les musulmans vivent désormais au cœur des pays occidentaux. Ils ne sont plus de " là-bas " mais bien d’ " ici ".

Et certains chercheurs désapprouvent l’idée que cette " haine contre les musulmans s’inscrirait dans une tradition séculaire remontant aux croisades ". Ils identifient " l’islamophobie " comme un fait social fondamentalement contemporain.

Méconnaissance de l’islam

L’ignorance est un grand facteur de rejet, de violence : ce qu’on ne connaît pas est souvent perçu comme une menace. La société française ne sait rien ou si peu de la religion musulmane comme des musulmans. Dans ce cadre, les constructions imaginaires ont d’autant plus de facilité à se développer qu’elles ne viennent pas buter contre la réalité. C’est selon l’historien Mohammed Arkoun, " une situation qui nourrit les chocs des ignorances institutionnalisées et non par des cultures et des civilisations comme on se plait à le répéter ".

L’islam est perçu comme un tout monolithique, immuable dans le temps et statique dans l’espace. On ignore ainsi les controverses qui ont animé l’islam sur toutes les grandes questions religieuses (nature de la foi, libre-arbitre, sort de l’incroyant, laïcité, accord du Coran avec la philosophie moderne, littéralisme…) comme si l’orthodoxie affichée et imposée dans les Etats islamiques actuels les avaient effacées.

L’islam est ainsi souvent considéré comme une religion intrinsèquement intolérante au mépris des expériences historiques. De même, on dénie à tort à l’islam tout apport créateur dans les Sciences, les Arts en le considérant comme hostile à la raison et à l’esprit critique.

On reproche aussi à l’islam un certain nombre de coutumes comme l’excision ou la polygamie qui sont des pratiques qui se rapportent davantage à des traditions dépassant largement le strict cadre religieux de l’islam.

L’islam est globalement présenté comme une réalité figée et ses adversaires se construisent un islam type nourri de tous les éléments négatifs et souvent marginaux que l’on peut rencontrer parfois dans l’islam.

C’est ainsi que Ben Laden et son organisation Al Qaïda sont venus incarner une religion sans visage et que la singularité de chaque musulman a été niée au profit d’une vision compacte.

Par ailleurs, la ghettoïsation des quartiers difficiles ne participe pas à rendre visible l’islam tel qu’il se pratique très majoritairement parmi les musulmans de France. C’est à dire un islam qui se pratique en privé, dans le cadre familial (il n’y a en effet pas de fréquentation massive des moquées par les musulmans de France). Ce sont en l’occurrence les parents qui sont les principaux acteurs de l’éducation religieuse de leurs enfants.

Mais, il est intéressant de noter que le christianisme n’a pas forcément une image très positive en France : 43% des Français ne pensent pas qu’il " favorise l’épanouissement personnel " et à la question " diriez-vous que le christianisme est adapté au monde moderne ", ils sont 61% à répondre par la négative. Sans doute, peut-on supposer que la sécularisation qui affecte la France a entraîné une mise à distance générale de la religiosité.

Contexte international

Ce contexte international a nourri l’imaginaire collectif et les représentations fantasmagoriques sur l’islam. C’est ce contexte qui aurait permis de relancer le rejet de l’islam en Europe même si les Français se défendent très majoritairement d’avoir changé leur vision de l’islam depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Le débat contemporain sur l’immigration maghrébine et son intégration a souvent été amplifié par la vision internationale de l’islam. Dès 1973, la crise économique résultait de la volonté des pays de l’OPEP et non de l’épuisement d’un ordre économique mondial datant de la fin de la 2è guerre mondiale ou de la destruction du système monétaire international. Même si " cette explication idéologique de la crise visait avant l’arabisme et le tiers-mondisme, l’islam, religion dominante dans la plupart des exportateurs de pétrole commençait à devenir un facteur explicatif de l’évolution du monde musulman et de ses relations avec la France et les pays occidentaux ". L’image de l’Islam renvoyée par certains événements internationaux a par la suite rarement été positive: révolution iranienne, Fatwa sur Salman Rushdie, attaques des islamistes algériens, attentats du GIA, dérive de Khaled Kelkhal… Récemment, l’actualité a même été particulièrement abondante en la matière : régime taliban, attentats du Hamas et du Hezbollah, 11 septembre 2001, attentats répétés par des organisations islamistes notamment au Pakistan, en Indonésie ou en Turquie, situation confuse en Irak…

Pour certains, l’islam serait ainsi devenu l’ennemi commun de certaines démocraties qui cherchent à remplacer l’Union soviétique et ses alliés par l’instauration d’un nouvel " axe du mal ".

La mobilisation du courant fondamentaliste au sein de l’islam a été constatée. L’islamisme s’est doté d’un visage en la personne de Ben Laden et d’un discours anti-occidental marqué. Le fait qu’on ait trouvé parmi les islamistes des franco-maghrébins, pour certains emprisonnées à Guantanamo, n’a pas rassuré l’opinion publique.

Et, en France, la peur d’une " 5è colonne ", de réseaux dormants, s’est étendue au point qu’à chaque conflit opposant l’occident à un pays musulman, on s’interroge sur les éventuelles réactions de la communauté musulmane de France, comme si celle-ci était monolithique et peu attachée à la France, transformant chaque musulman en traître en puissance, en ennemi de l’intérieur. Le renforcement des lois et dispositifs de lutte contre le terrorisme a pu alimenter ce type de raisonnement.

Les attentats du 11 septembre 2001 semblent donc avoir donné un certain fondement aux discriminations touchant les maghrébins en renforçant l’amalgame musulman/islamiste/terroriste.

Au-delà, les déclarations de certains dirigeants de pays islamiques sont loin de donner à l’islam l’image d’une religion tolérante, ouverte et respectueuse des autres religions. Au contraire, elles viennent renforcer en France les préjugés sur les Français musulmans. A cet égard, les propos haineux de l’ex-Premier ministre malaisien Mohamad Mahathir qui appelait récemment à la lutte contre " les juifs qui dirigent le monde par procuration " lors de la dernière réunion de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) du 16 octobre 2003 ont provoqué un tollé légitimement considérable. Mais, la passivité des représentants de pays musulmans présents dans la salle, voire l’approbation tacite de certains, n’a pas permis d’isoler ces propos antisémites qui viennent mettre de l’huile sur le feu du " choc des civilisations " que certains nous annoncent.

Infériorisation et soumission des femmes

La religion musulmane est souvent abordée à travers le prisme de la place et du statut qu’elle réserve aux femmes.

En l’occurrence, à travers des faits d’actualité internationale et nationale, le sort qui est réservé aux femmes dans le monde musulman semble particulièrement dégradé malgré les progrès de certains pays.

Là, on est invité à signer une pétition pour éviter la lapidation d’une femme soupçonnée d’adultère au Nigéria. Là, on découvre un reportage sur les femmes tapies sous la burka que leur imposent les Talibans. Là, on entend le témoignage d’une victime de crime d’honneur. Ici, on nous parle de mariages forcés ou de l’excision qui subsistent en France.

Les récentes violences subies par des femmes d’origine maghrébine dans leur quartier et relayées par les médias (que l’on pense à l’odieux assassinat de Sohane à Vitry sur Seine en octobre 2002) ont largement choqué l’opinion publique française. Depuis, des études ont été publiées autour des discriminations et des violences rencontrées par les femmes d’origine immigrées.

De fait, dans une France où les mouvements féministes ont installé l’idée d’égalité entre femmes et hommes, ces manifestations graves d’oppression choquent et semblent traduire une idéologie réactionnaire et antinomique avec les valeurs et la réalité françaises. En même temps, il est parfois difficile de démêler ce qui tient de la tradition culturelle de l’obligation religieuse.

Stigmatisation et amalgame médiatique

Il est difficile d’évaluer précisément l’influence des médias sur telle ou telle représentation. Mais, l’importante couverture médiatique sur l’Islam laisse à penser que cette influence n’est pas nulle dans la construction des représentations.

Les médias ont largement tendance à expliquer la violence de certains musulmans et le terrorisme islamiste par la seule causalité idéologique qui serait la religion musulmane. Les causes sociales ou économiques restent rarement abordées, tout comme le déficit démocratique alors que l’ensemble de ces éléments constitue un terreau favorable au développement d’un islamisme nihiliste.

Si les médias se sont montrés plutôt subtils dans leur traitement du 11 septembre 2001 et de ses conséquences, prenant soin de distinguer l’ensemble des musulmans des groupuscules islamistes terroristes, ils auraient depuis largement participé à la peur et à l’amalgame. Les recherches de Bruno Etienne, Directeur de l’Observatoire du religieux sur Aix en Provence le démontrent.

En effet, nombre de " unes " de magazines ou de journaux concernant l’islam (et non les terroristes ou l’islamisme) étaient constituées d’images choc alarmantes (foules en délire priant comme un seul homme, femmes voilées en noir des pieds à la tête, barbus menaçants et armés…). Les titres et commentaires démagogiques au ton paranoïaque viennent attester les fantasmes du complot, de la conspiration souterraine et de la peur ; et, l’islam est présenté par essence comme incompatible avec la République et ses valeurs accréditant par là la thèse des guerres des civilisations.

Pour exemple, Il faut rappeler le traitement qu’a réservé la presse au début de l’année 2003 à l’affaire du prétendu terroriste de Roissy qui s’est finalement révélée n’être qu’un complot monté contre le jeune Abderezzack Besseguir par sa belle famille. La presse n’avait jamais accordé la moindre crédibilité à cette thèse avancée par l’accusé et s’était immédiatement engouffrée dans la version terroriste. De fait, la réalité venait coller aux fantasmes : un jeune franco-maghrébin en apparence intégré et " modéré " pouvait se révéler à tout moment un dangereux terroriste. Le message s’était imposé : il fallait se méfier de tous.

Par ailleurs, certains intellectuels ont largement véhiculé, notamment par le bais des médias, une conception globalement négative de l’islam faisant peser une menace immédiate sur les valeurs occidentales. Sans le vouloir sans doute, ils justifient les actes de rejet violent des musulmans.

Sur les plateaux de télévision, dans les débats concernant l’islam, les intellectuels spécialistes de la question ou les représentants religieux correspondant à la pratique majoritaire de l’Islam en France sont rarement invités. On préfère les personnalités marginales et caricaturales : des imams connus pour leur fanatisme ou des sportifs musulmans qui n’ont la capacité de répondre ni aux invectives ni aux questions dogmatiques…

Bref, on a rarement l’occasion de voir dans les médias des musulmans dans leur quotidien, dans leur grande banalité.

(Ré)islamisation qui inquiète

Le repli identitaire semble progresser dans la société française et avec lui, le communautarisme. Ce repli, qui ne se limite pas à la société française, est le fruit de la mondialisation néo-libérale, d’une intégration européenne mal acceptée-qui semble parfois apporter moins qu’elle ne menace- et de la fin des idéaux et des regroupements d’hier. Cette crise politique de l’Etat-nation accompagnée de la crise économique a provoqué une perte de repère à laquelle " les anciennes colonnes vertébrales pour proposer une compréhension du monde " n’ont su répondre. Cela s’est traduit par la dilution du sens collectif, un besoin de retrouver du lien mais aussi par la recherche de boucs émissaires et de solutions simples dans un monde perçu comme de plus en plus complexe.

Cette crise identitaire –qui s’est manifesté le 21 avril 2002- participerait de la montée de l’extrême droite comme de l’islamisation des jeunes franco-maghrébins qui se sentent trahis par les promesses non tenues de l’universalisme républicain qui les a laissés sur le bord du chemin n’ayant pas su ou voulu lutter contre les discriminations de tous ordres qui les frappent. Au " Tu n’es pas de chez nous " répondrait ainsi le " Restons entre nous ". Et ce à un moment où le monde musulman, de la Palestine à l’Irak, vit des heures pour le moins difficiles.

La référence religieuse devient plus visible dans les quartiers populaires. Cela correspond à un mouvement d’ethnicisation de toute la société. Ainsi, de nombreux jeunes jurent dorénavant " sur le coran " et " sur la Mecque ".

Des musulmans privilégient la particularité religieuse de leur identité à leur particularité " ethnique " (origine marocaine, algérienne, maghrébine…). Il est vrai que la communauté musulmane (l’Oumma) est plus large et transnationale.

Cette islamisation constitue à la fois un mouvement naturel de retour aux sources -observé un peu partout- de la 2è génération déracinée mais aussi la conséquence de la ségrégation, de l’exclusion économique et sociale et des discriminations qu’ils vivent au quotidien.

Les " grands frères " réclamaient l’égalité des droits à travers la Marche des Beurs de 1983, leurs jeunes frères et sœurs s’y attendent tout simplement. La déception et l’amertume sont donc d’autant plus fortes. A force de se sentir stigmatisés, rejetés, humiliés, ils adoptent cette contre-identité pour résister à un écrasement social perçu comme volontaire et cherchent des solutions dans les textes religieux. La religion devient un lien de reconnaissance, un manteau contre les agressions extérieures.

L’universel abstrait perd de fait de sa crédibilité, il est même rejeté pour avoir légitimé leur exclusion. Ce phénomène s’observe également chez nos voisins Turcs résidents en Allemagne. La promesse d’intégration n’a pas été tenue. A cet égard, la trajectoire d’un Khaled Kelkal, jeune de la banlieue lyonnaise devenu délinquant puis recruté par le GIA pour les attentats terroristes de 1995 et finalement abattu par le GIGN le 29 septembre 1995, est symptomatique des pires dérives susceptibles de se produire et sert ainsi de repoussoir.

Pour Bruno Etienne, chercheur, c’est " la rupture de cohérence entre un présent qui n’est maîtrisé par personne et l’arrachement aux traditions par la mobilité sociale et géographique qui renvoie à une origine recomposée, mythique, imaginaire, à laquelle certains se raccrochent désespérément dans une sorte de réaction révolutionnaire, plutôt que d’aller de l’avant vers un non-futur, ils préfèrent faire demi-tour et revenir à la religion de leur père ".

Dans ce contexte de très forte sensibilité au prisme religieux, chaque dénonciation, chaque critique vient corroborer le sentiment de violence contre une identité dévalorisée.

Par ailleurs, comme durant les années 80 et 90, on a nié la réalité de l’islam en France, on a laissé se développer " l’islam des caves ", sur un terreau particulièrement favorable au développement du fondamentalisme. Les associations religieuses musulmanes qui se sont multipliées s’occupent de tout dans les quartiers défavorisés y compris de soutien scolaire soulignant ainsi les carences de la République. Et les mouvements islamistes jouent justement sur ces failles, sur les frustrations pour recruter.

Au-delà des quartiers populaires, les Français d’origine maghrébine sont un certain nombre à se tourner vers la religion pour chercher du sens dans une société perçue comme manquant de projet collectif, d’espérance et où la réussite individuelle se jauge à la capacité de consommation et aux signes extérieurs de richesse.

L’opinion publique a pris conscience de ce retour du religieux dans la population franco-maghrébine, la multiplication du nombre de jeunes femmes voilées n’est pas passée inaperçue dans les transports publics ou dans la rue. Les sondages attestent de la recrudescence des pratiques religieuses comme le jeûne du ramadan avec un taux relativement important chez les 16-24 ans. Mais, pour Vincent Geisser, chercheur, " ces affirmations ne renvoient pas à des pratiques réelles. […] Les jeunes sont soucieux de donner une image publique de bons citoyens français et de bons musulmans " car " on est musulman par le regard de l’autre. Or ce regard est islamisé ".

Mais on ne constate pas l’augmentation de toutes les pratiques religieuses : pour exemple, la prière quotidienne semble en recul et la non-consommation d’alcool stagne. De l’ensemble des prescriptions du Coran, le ramadan, est la plus massivement suivie. Pour V. Geisser " le ramadan pour les musulmans, c’est un peu comme Yom kippour pour les juifs. C’est le seul moment de l’année où tous les membres d’une même famille vont se réunir, quelque soit leur rapport à la religiosité, et se retrouver pour manger ensemble […]. C’est un moment de célébration de la mémoire, de l’unité familiale, d’une certaine domesticité de la tradition ".

C’est aussi sur la base de cette islamisation, qui reste pourtant souvent compatible avec nos règles et valeurs républicaines, que la peur grandit dans l’opinion publique. Elle grandit d’autant plus que les quartiers populaires, dans lesquels vit une partie importante de la population musulmane, sont déjà largement stigmatisés pour la violence, la délinquance et l’économie souterraine qui s’y développe.

Le jeune des quartiers, souvent d’origine maghrébine, se voyait déjà renvoyer l’image d’un délinquant en puissance, il devient aussi terroriste potentiel.

Pourtant, si certains franco-maghrébins trouvent refuge dans une interprétation rigoriste de la religion musulmane, la plupart des jeunes issus de l’immigration ont aujourd’hui des pratiques sociales similaires à l’ensemble des Français. C’est aussi paradoxalement cette atténuation de la différence objective qui fait augmenter l’anxiété de la société d’accueil. Car si une minorité de jeunes franco-maghrébins peut être séduite pas les discours islamistes ou intégristes, les générations issues de l’immigration vivent plutôt dans " une indifférence religieuse égale à celle des autres Français du même âge ". De fait, les sondages montrent une stabilisation en la matière : alors que 37% des personnes d’origine musulmane interrogées se déclaraient " musulman croyant et pratiquant " en 1989, ils sont 36% en 2001.

 


V) Comment lutter contre cette hostilité à l’islam ?

Rappelons en préambule que le rejet de l’islam ne concerne pas seulement les maghrébins : population musulmane et population maghrébine ne se recoupent pas. Pourtant, comme nous l’avons vu précédemment, cette hostilité apparaît bien souvent comme une forme renouvelée, et malheureusement sans doute davantage acceptée par la société, du racisme visant les populations d’origine maghrébine.

Soutenir les victimes d’actes anti-musulmans et de racisme

Nous avons vu que le critère religieux s’impose de plus en plus dans la définition de l’Altérité et que le rejet de l’islam est surtout un prolongement, un renouvellement du racisme anti-maghrébin classique. Il est souvent difficile de démêler les motivations de l’auteur d’un acte raciste.

A ce jour, la législation française condamne clairement la diffamation, les injures comme la provocation à la haine ou à la violence ainsi que les discriminations qu’elles soient basées sur un critère ethnique ou religieux.

Précisons que ne constitue pas une diffamation à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion déterminée les propos tenus publiquement qui visent non la croyance commune unissant les membres de l’association cultuelle mais le mode de fonctionnement du groupe dont les individus font parties. De même, les juges ont estimé que la religion catholique n’était pas mise en cause en tant que telle quand un texte vise un groupe de personnes, parfois désignées comme " intégristes ", et qui soutiennent des positions extrêmes, souvent éloignées des thèses officielles de l’Eglise catholique française.

Des organismes publics d’aide aux victimes de racisme et de discrimination existent pour faciliter l’accès au droit, conseiller les victimes et les soutenir : Codac (qui fonctionnent de manière inégale, voire pas du tout), Maisons de justice et du droit, permanences juridiques… Les policiers, en première ligne pour recevoir les plaintes, pourraient être mieux formés autour des délits touchant au racisme et à l’antisémitisme. La question des discriminations est dorénavant abordée dans le cadre de la formation initiale des futurs policiers mais les formations qui s’adressent aux forces de l’ordre en activité sont encore trop rares. Il en est de même pour les magistrats dont les enquêtes sont encore trop rares et qui sont encore trop réticents à admettre certains modes de preuve, tels que les testings organisés notamment par SOS Racisme. Quant aux sanctions que reçoivent les auteurs condamnés pour des contraventions ou des délits relevant du racisme, elles sont encore trop légères, bien loin des plafonds fixés par le Code pénal et donc peu dissuasives.

Par ailleurs, l’autorité indépendante de lutte contre les discriminations, à compétence universelle, devrait voir le jour fin 2004. Elle devra soutenir les plaintes individuelles. La discrimination religieuse fera partie de ses attributions. Mais, la question de moyens qui lui seront attribués (budget et personnel) est primordiale dans l’appréciation de l’efficacité du futur dispositif et donc de l’effectivité des droits reconnus aux victimes à travers les compétences et le rôle de l’organisme.

Au-delà, le secteur associatif reçoit et traite des plaintes relevant de la loi de 1881 ou des discriminations. Il participe aussi à travers des initiatives spécifiques ou des activités régulières à renforcer le lien social dans les quartiers, le dialogue interculturel. A ce titre, la réduction importante du budget du FASILD, qui est justement l’un des principaux organismes de financement des actions associatives, est pour le moins contre-productive sur le terrain de la lutte antiraciste, voire contradictoire avec les objectifs annoncés par les autorités publiques selon nombre d’associations.

Mais sans doute, l’hostilité à l’islam est-elle encore peu reconnue et trop faiblement combattue, comme du reste le sont plus généralement les faits de racisme et de discrimination. Il faut se donner les moyens d’être plus efficaces pour permettre aux victimes de retrouver toute leur dignité et pour faire reculer racisme et discrimination qui constituent des poisons pour la cohésion nationale de notre pays comme l’a souligné le Président de la République en octobre 2003.

Dialogue religieux

Le dialogue inter-religieux existe et marque la volonté des différentes églises de ne pas entrer en concurrence l’une avec l’autre et de participer à un message commun de tolérance réciproque.

Le rattachement à la lignée d’Abraham devrait rapprocher les religions chrétienne, juive et musulmane.

De nombreuses rencontres ont effectivement lieu régulièrement au niveau international, national et local entre des dignitaires des différentes religions. On évoque souvent à ce titre la rencontre inter-religieuse d’Assise en 1986 qui a réuni des représentants catholiques, orthodoxes, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes et différents représentants de religions d’Afrique et d’Asie. Ce type de rencontres s’est depuis renouvelé dans différentes villes.

On peut aussi noter l’initiative prise cette année par une paroisse catholique qui a mis à disposition une salle de son église pour que les musulmans puissent y effectuer leurs prières. C’était, jusque dans les années 80, une pratique courante.

De même, pour fêter le Kippour de cette année, une réunion œcuménique a rassemblé des représentants de l’islam comme du catholicisme et du protestantisme autour de dignitaires religieux juifs.

Il est aussi important d’être attentif au dialogue intra-religieux. Certains estiment qu’il faut renouer avec la libre confrontation doctrinale qui a animé l’islam pendant des siècles.

Sur un autre plan, il n’est pas normal que les infrastructures intellectuelles permettant une vraie connaissance du fait religieux et de l’histoire des religions et offrant des cadres aux débats sereins aient quasiment disparu, notamment au sein des universités françaises. D’autant que ces faits de culture et de civilisation devraient être intégrés dans les programmes d’enseignement pour tous.

Assurer une visibilité à l’islam

Nous l’avons vu, la religion musulmane, 2è religion de France, est peu connue et surtout assez invisible pour que se développent les pires préjugés à son sujet. On a tendance à oublier qu’à l’instar des autres religions monothéistes, l’islam, loin d’être monolithique, est traversé de courants, de sensibilités.

A ce titre, on peut noter certaines initiatives et pistes de réflexion envisagées pour donner une meilleure visibilité à l’islam et à tous les musulmans quelles que puissent être leurs origines " ethniques ".

Les Conseils Français du Culte Musulman (CFCM) mis en place aux niveaux régional et national par le ministère de l’Intérieur participent de cette volonté de donner un visage à l’islam de France, de le situer sur un pied d’égalité avec les autres religions et de montrer sa pluralité pour rassurer l’opinion publique, et marquent la détermination à faire émerger des interlocuteurs, qui semblaient faire défaut, pour discuter de ce qui a trait à la pratique de la religion musulmane.

Ces conseils n’ont pourtant pas fait l’unanimité. Ils ont été, en effet, critiqués pour la trop grande place qu’ils accorderaient aux franges les plus dures de l’islam français. Au point que le journal " Le Parisien " se demandait, au lendemain des élections de ces conseils, s’il fallait avoir peur des musulmans de France. Néanmoins, l’opinion publique semblait majoritairement (55%) croire que " cela va permettre de faciliter l’intégration de l’islam en France et de réduire les risques de montée du fanatisme islamique ".

Au-delà du CFCM, il faut signaler que certains groupes et secteurs musulmans s’organisent au sein d’associations variées telles le Conseil des Démocrates Musulmans de France (CDMF) qui réunissait son congrès fondateur le 18 octobre 2003. Ce Conseil souhaite représenter et s’occuper de la " majorité des musulmans " et désire aboutir à une " reconnaissance politique " des musulmans selon M. Dahmane, son fondateur. Ces Démocrates musulmans se sont déclarés " indépendants et affranchis de toute autorité politique ou religieuse étrangère " et ont rappelé dans une charte leur " attachement à la République et à ses valeurs ". Ainsi en est-il également du Conseil Français des Musulmans Laïcs, dont le congrès fondateur s’est tenu le 24 mai 2003. Ces initiatives permettent de montrer des visages différents de l’islam, loin des amalgames qui lient " musulman " à " intégriste " ou " terroriste ".

Pour ce qui est de la visibilité et du libre exercice des pratiques religieuses, des améliorations peuvent être apportées par les pouvoirs publics. Le Ministère de la Fonction Publique établit chaque année une liste des grandes fêtes religieuses pour lesquelles des autorisations d’absence exceptionnelles peuvent être accordées. Les grandes fêtes musulmanes y figurent.

L’utilisation de ce calendrier pourrait être étendue au secteur privé même si, dans l’absolu, les salariés musulmans comme juifs ne devraient pas avoir à sacrifier un jour de congé pour leurs principales fêtes alors que les chrétiens n’ont pas à le faire. Ce premier pas constituerait donc une avancée indéniable.

Il faudrait surtout favoriser l’existence de lieux de culte visibles, intégrés à la ville (et non construits aux confins de la cité ou à la périphérie des ville) et ouverts, à l’image de ce que peut être la grande Mosquée de Paris située en centre ville parisien et accessible à tous et toutes, musulmans ou non, notamment par le biais de son salon de thé, de son hammam ou de sa bibliothèque.

Il en est de même pour de nombreux aspects de la liberté et de l’expression religieuses que nous avons déjà soulignés. Le Haut Conseil à l’Intégration le notait dans son rapport de 2000, l’Etat doit accompagner les musulmans qui en font la demande dans la recherche de solution de nature à faciliter l’exercice de leur culte en France. C’est avec des mesures assez simples mais à forte portée symbolique qu’on peut assurer une plus grande égalité de traitement ainsi que la banalisation du fait religieux musulman, sa dissémination dans le quotidien.

On pourrait aussi développer, autour de la culture arabo-musulmane, des initiatives populaires prenant pied dans le quotidien des Français (établissements scolaires, bibliothèques municipales, places centrales dans la ville…) : expositions, semaine d’échanges et de tables-rondes, fêtes religieuses... permettant d’associer l’ensemble des habitants de tel ou tel quartier.

Au-delà de ce qui peut aujourd’hui se faire dans le cadre de l’Institut du Monde Arabe qui reste tout de même réservé à une certaine élite intellectuelle, il faut démocratiser l’accès à la connaissance, à l’ouverture sur les autres cultures.

C’est aussi en valorisant ce patrimoine culturel et religieux, tout comme l’histoire de l’immigration et l’apport des immigrés à la France, que l’on permettra aux jeunes issus de l’immigration maghrébine de ne pas être amputés de leurs racines, de leur mémoire. C’est à la fois rendre visible l’islam mais aussi faire partager sa compréhension, éduquer.

Eduquer

Il convient de rappeler que les autorités religieuses musulmanes sont souvent les premières à dénoncer les violences prétendument fondées sur la foi musulmane. Mais nombreux sont ceux qui n’y prêtent pas attention.

L’ignorance est le terreau des préjugés. L’hostilité est souvent bâtie sur la méconnaissance et l’ignorance.

Voilà pourquoi, il est important de transmettre, d’informer…. bref d’apporter des informations sur l’islam en tant que religion mais aussi sur l’histoire du bassin arabo-musulman. Peut-être qu’à travers cette transmission des savoirs, les plus jeunes comme les autres cesseront de croire que l’islam a commencé avec les Talibans et Oussama Ben Laden et prendront la mesure de la richesse, des évolutions d’une religion qui a traversé près de quatorze siècles et qui concerne aujourd’hui près d’1 milliard d’hommes du sud du Sahara à l’Ile de Java.

Certains proposent que cette transmission s’opère notamment dans les établissements scolaires. Les collégiens étudient sommairement en classe de sixième les grandes religions, mais, Régis Debray, dans son Rapport sur l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, remis au Ministère de l’Education en février 2002, préconise le renforcement de l’enseignement de l’histoire des faits religieux dans les programmes scolaires. Le sondage de la CNCDH montrait en 1995 que l’opinion publique y était tout à fait favorable. Un autre sondage plus récent montre qu’un enseignement sur les religions à l’école permettrait, selon la population française, " un enrichissement culturel pour chacun ". Il est préconisé dans le cadre de cet enseignement d’insister sur les interpénétrations des différentes religions et des cultures. Il est en effet important de ne pas limiter ces programmes à un connaissance dogmatique des religions, les aspects de civilisation et artistiques sont primordiaux pour montrer les évolutions, l’influence de l’islam. D’après le Recteur Boubakeur, " on pourrait renforcer l’enseignement autour de l’histoire et de la culture arabo-musulmane pour combattre les préjugés et montrer que l’islam ne se réduit pas aux fondamentalistes médiatisés (astronomie, mathématiques, arts, philosophie…) ". Les débats sur l’islam sont souvent biaisés car ils sont toujours menés sous le prisme du sociétal ou du géopolitique.

Ces enseignements –qui ne pourraient être assurés par des dignitaires religieux mais bien des enseignants de l’Education Nationale à l’instar des autres disciplines- permettraient peut-être de clarifier des vocables galvaudés par les média comme le djihad, la fatwa…mais surtout, ils seraient l’occasion de reconnaître que l’islam fait partie intégrante de l’histoire et du patrimoine de l’Europe et de l’humanité et de sortir d’une vision ethnocentrée du monde.

Mais, pour M. Boubakeur, " cet enseignement du fait religieux se ferait au même titre que celui du principe de laïcité souvent mal compris sinon ignoré. L’Education nationale doit former de futurs citoyens quelles que soient leurs origines ou leurs confessions religieuses. Il est primordial de montrer aux plus jeunes qu’il n’a pas été facile pour la société française de s’extirper de ses archaïsmes, de ces partis pris. La Révolution française a gommé les privilèges et l’Ecole publique a intégré les riches comme les pauvres, les garçons comme les filles. Ce volontarisme égalitaire est certes loin d’avoir abouti mais l’intention est généreuse. L’universalisme égalitaire de la République française reste certes à parfaire, mais il est une chance pour tous. "

Il semble par ailleurs que les jeunes, tout comme le reste de la société, aient globalement une connaissance de l’histoire des religions et de leurs évolutions très limitée voire inexistante qu’il s’agisse de l’islam ou des religions juive, catholique, protestante ou… bouddhiste. Or, il serait sans doute judicieux de montrer que ces religions n’ont pas toujours été synonymes de pays, de tolérance ou d’ouverture d’esprit . Par ailleurs, " on a longtemps occulté le fond commun aux trois grandes religions monothéistes, en exagérant ce qui les distingue et en cherchant à ériger des oppositions substantielles là où il y a des similitudes fondamentales ". Cette occultation des rapports qui lient l’islam aux autres religions dites constitutives de l’identité européenne et l’ignorance des apports de l’Espagne musulmane, de la Sicile sous les Fatimides, de l’Europe ottomane et des composantes musulmanes des empires coloniaux renforcent les préjugés défavorables à l’islam.

Comme le résume M. Arkoun, historien, " il y a des tâches nouvelles que l’Etat républicain laïc a négligé d’entreprendre : introduire dans le système éducatif à tous les niveaux un solide enseignement de l’anthropologie comme exploration et critique méthodiques des cultures du monde désormais présentes, mais sous forme d’enfermement communautaire, sur le territoire national ".

Mais, c’est aussi aux médias dans leur ensemble de satisfaire ce besoin de connaissances et d’informations, de cesser de ne parler d’islam et des musulmans qu’en terme de risque et de danger. Il existe en la matière une véritable demande comme ont pu le constater l’ensemble des libraires qui ont vu les ventes du Coran et autres ouvrages spécialisés sur l’Islam s’envoler aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001.

Au-delà de la connaissance des faits religieux, il semble aussi important de développer des formules de familiarisation sur l’environnement international. Nous sommes en effet tous beaucoup plus informés sur les évolutions géo-stratégiques internationales qu’auparavant sans pour autant être dotés des repères qui permettent de comprendre véritablement ces informations sans sombrer dans l’émotion immédiate ou les simplifications abusives et manichéennes.

Des musulmanes en mouvement

Nous avons vu que la place et le sort réservés aux femmes dans le monde musulman constituaient des repoussoirs pour l’opinion publique française.

Mais, dans le même temps, des musulmanes peuvent aussi apparaître comme les vecteurs d’une dynamique positive qui permet à l’opinion publique de saisir la nature évolutive de la religion musulmane et sa pluralité.

Tout récemment, plusieurs personnalités revendiquant leur confession musulmane sont intervenues sur la scène publique en montrant un autre visage que ceux qui hantent habituellement les médias.

Ainsi, le comité Nobel a remis son prix Nobel de la paix 2003 à une avocate iranienne, Shirin Ebadi, qui fut en 1974 la première femme juge de son pays avant d’être contrainte de démissionner par les islamistes qui s’installèrent au pouvoir à Téhéran. Madame Ebadi est très impliquée dans la lutte contre l’oppression et l’obscurantisme dont sont victimes les femmes et depuis vingt ans, " essaie de faire comprendre que l’on peut être musulman et avoir des lois qui respectent les droit de l’homme ". Malgré les menaces, elle a continué de souligner les contradictions de la loi iranienne en ce qui concerne les droits des femmes et des enfants et a toujours rejeté toute justification par l’islam de ces contradictions et violations, les imputant à un esprit traditionaliste archaïque. Elle rappelle que " le Coran est compatible avec les droits de l’homme ".

On peut aussi souligner à l’échelle française le rôle joué par certaines participantes de la " Marche des femmes contre le ghetto et pour l’égalité " du mouvement " Ni putes, ni soumises ". Certaines représentantes de ce mouvement mixte et métissé, et notamment la Présidente de ce mouvement Fadéla Amara, se sont affirmées sur la scène médiatique comme musulmanes pratiquantes tout en dénonçant le machisme qui va grandissant dans les quartiers populaires, la passivité des pouvoirs publics et de la société face aux violences faites aux femmes. Elles ont aussi largement critiqué les interprétations rigoristes du Coran qui amènent les jeunes femmes à respecter l’obligation de virginité, à accepter des mariages arrangés et à s’enfermer à la maison. Mais, ces marcheuses ont toujours souligné que ces violences étaient avant tout la résultante de l’enfermement social des quartiers ghettos.

Ces deux figures, qui ont récemment connu une médiatisation importante, illustrent ce dynamisme des femmes musulmanes à l’étranger comme en France, et prouvent dans leur prise de parole, dans leurs revendications, que l’islam est bel et bien pluriel et que de nombreux musulmans se battent contre les courants néo-conservateurs qui dirigent nombre d’Etats islamiques et qui cherchent à imposer par la force leur vision de l’islam à l’ensemble des musulmans. Ces débats parfois vifs à l’intérieur même de la communauté musulmane sont indispensables, et leur publicité participe à sortir des images simplificatrices de l’islam.

Mettre fin à l’exclusion économique, sociale et spatiale

Il est urgent à double titre de mobiliser pour mettre fin aux ghettos et leurs conséquences économiques et sociales.

D’abord, parce que ces ghettos constituent des terreaux d’islamisation radicale, surtout quand ils sont désertés par les services républicains et que les imams deviennent les seuls référents.

Ensuite, parce que ces ghettos, produits des discriminations raciales, nourrissent les fantasmes et les amalgames dont souffrent les populations maghrébines et participent donc à la perpétuation des processus discriminatoires.

Les services publics sont loin d’être exemplaires. Non seulement parce que pour un certain nombre, ils participent aux processus des discriminations systémiques graves à l’égard des usagers (logement, formation…) mais aussi parce que globalement, l’Administration et plus largement le secteur public sont loin d’être représentatifs de la France de 2003 : encore trop peu d’enfants de l’immigration maghrébine ou africaine y occupent des postes et rôles notables (télévision, monde politique, entreprises publiques, artistes subventionnés…). Ce secteur est donc loin de jouer le rôle d’aiguillon qu’il pourrait incarner par rapport au secteur privé notamment.

La création d’une haute autorité, qui devrait voir le jour début 2004, constitue un progrès indéniable mais elle ne saurait exonérer l’Etat d’une politique publique forte de lutte contre les discriminations.

Au-delà, elle ne résoudra pas à elle seule et durablement les discriminations systémiques identifiées dans notre société et l’exclusion économique et sociale qu’elles aggravent. Il faut pour cela mettre fin à la concentration des populations issues de l’immigration dans les quartiers délaissés et réfléchir à une nouvelle forme de répartition urbaine pour casser la ghettoïsation des écoles qui va de pair avec celle des quartiers.

Là est l’urgence.

Les descendants de l’immigration quelle que soit leurs origines, quelle que soit leur religion, désirent avant tout, comme les immigrés qui les ont précédés, un logement digne, un emploi et un avenir pour leurs enfants. Rien de plus mais rien de moins.

Et, là réside bien le défi actuel de notre République. Si elle n’y répond pas, nulle action de dialogue et de lutte contre les racismes n’aura de réelle incidence.

La réponse à apporter au racisme anti-maghrébin et à sa nouvelle coloration religieuse est avant tout une réponse politique et sociale. De nombreuses associations locales ou nationales le répètent depuis de nombreuses années.

Enfin, il faudrait éviter de faire du prisme religieux la référence absolue. Les interlocuteurs religieux doivent rester à leur place. " Les liens communautaires confessionnels sont de plus en plus sollicités par les pouvoirs publics pour soigner la " fracture sociale " et contenir la violence ". Mais, la lutte contre l’exclusion économique et sociale et les discriminations raciales relève principalement des pouvoirs publics : lutter contre l’hostilité rencontrée par les Maghrébins ne saurait se résumer à soutenir financièrement et politiquement les associations musulmanes.

Ce n’est pas en tant que maghrébins ou musulmans que les personnes issues de l’immigration réclament l’égalité des droits et l’égalité des chances mais tout simplement en tant que citoyens. Il est par ailleurs d’autant plus dangereux d’enfermer cette population dans des catégorisations ethniques ou religieuses spécifiques que cette identification relève de la subjectivité de chacun et qu’un mouvement remarquable de métissage traverse et transforme la société française.

http://www.commission-droits-homme.fr/travauxCncdh/intoleranceIslam.html