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COMBIEN DE TEMPS ENCORE, PASCAL LAMY .. ? |
(lettre ouverte publiée dans la revue trimestrielle POLITIQUE, numéro 34, avril 2004, p.40-43)
Pastichant Cicéron quand il interpelle Catilina, je vous le demande, combien de temps encore, Pascal Lamy, Commissaire européen au commerce, allez-vous abuser de notre patience ? De la patience de toutes celles et tous ceux, en Europe et dans le monde, qui vous entendent dire une chose et vous voient faire son contraire ? Combien de temps, vous que les traités européens érigent en négociateur unique, en visage unique, en incarnation unique des peuples dEurope pour toutes les négociations commerciales internationales, allez- vous offrir au monde un visage de lEurope qui nest pas le nôtre parce que nous ne voulons pas quil soit celui de larrogance, de la duplicité et du cynisme ? Ne me répondez pas, comme vous le faites si souvent, quil y a malentendu, que mes amis et moi navons pas compris les textes, que nous nous sommes mépris sur vos intentions. Je vous ai trop écouté, je vous ai trop lu, jai surtout lu beaucoup trop des notes qui émanent de vos services et qui sont, sous votre responsabilité, adressées, via le Comité 133, aux gouvernements européens et ensuite déposées au siège de lOMC à Genève. Je ne suis ni un mandataire politique indifférent ou complice, ni un journaliste incompétent ou servile. Vous ne mabuserez pas. Il se peut, certes, que je ne maîtrise pas comme vous les 22.500 pages des Accords de Marrakech. Je nai pas à ma disposition une armée dexperts qui sy consacrent à temps plein. Mais soyez certain que mes amis et moi étudions la matière depuis longtemps assez pour ne pas être trompés par la complexité des sujets et linintelligibilité des textes. Si vous le voulez bien, parcourons un instant votre livre, « LEurope en première ligne ». Un bien joli titre. Que je comprends, au vu des faits, dune manière fort différente du sens que vous avez voulu lui donner. LUnion européenne est en première ligne en effet. Pas pour protéger les Européens, mais pour promouvoir, aux côtés des Etats-Unis, une idéologie : la compétition comme mode dagencement des rapports humains. En première ligne pour transformer les rapports humains en rapports marchands. En première ligne pour déréguler et remplacer les protections que les hommes ont créées contre les abus des autres hommes par de la « flexibilité », un mot dont vous usez abondamment.
Vous vous flattez (page 44) davoir inventé le concept de « globalisation maîtrisée, » indiquant que ce serait là votre objectif et celui de lEurope. Mais, pourriez-vous avancer une proposition faite par lUnion européenne qui aille dans le sens dune vraie régulation du commerce mondial, cest-à-dire dun encadrement des pratiques commerciales et dune limitation du pouvoir des firmes privées sur la scène internationale ou à légard des Etats et des peuples ? Vous le savez bien mieux que moi, Pascal Lamy, les principaux accords qui furent adoptés à Marrakech en 1994 et qui se sont ajoutés aux accords du GATT ne contiennent aucune disposition contraignante à légard des acteurs privés, pas plus quils ne contiennent de dispositions sur les firmes transnationales, sur ces zones desclavagisme que sont les zones franches ou sur les paradis fiscaux. Sous le fallacieux prétexte de réguler le commerce mondial, ces accords comme vos propositions visent essentiellement à déréguler les Etats, à faire disparaître aux niveaux local, régional et national les normes éthiques, sociales, environnementales, considérées comme des « obstacles au commerce, » à obliger les Etats à renoncer à leurs choix de politique industrielle et économique, afin datteindre, après la parenthèse du 20e siècle, une situation espérée dès le 19e et désormais à portée de vue en ce début de 21e: le « laisser-faire, laisser-passer » cher aux libéraux.
Comment vous croire quand dans le même temps où des media complaisants relaient vos propos sur une prétendue volonté européenne de maîtriser la globalisation, on entend le banquier que vous avez été tenir un discours radicalement différent lorsque vous vous adressez aux milieux daffaires qui ont, semble-t-il, toutes vos faveurs ?
Ainsi, lorsque, cinq semaines après avoir prêté le serment par lequel vous vous engagiez à exercer vos fonctions « en pleine indépendance, dans lintérêt général, » vous vous exprimez, à Berlin, devant lassemblée du Trans Atlantic Business Dialogue (TABD), un des plus puissants lobbies daffaires du monde, en ces termes : « Cest vraiment agréable de se retrouver dans le milieu des affaires ( ) Vous voulez que nous allions de lavant et que nous changions les politiques. Nous sommes décidés à le faire. ( ) La nouvelle Commission soutiendra [les propositions du TABD] de la même manière que la précédente. Nous ferons ce que nous avons à faire dautant plus facilement que, de votre côté, vous nous indiquerez vos priorités ( ) Je crois que le monde des affaires doit aussi parler franchement et convaincre que la libéralisation du commerce et en général la globalisation sont de bonnes choses pour nos peuples[i] »
Huit mois après votre entrée en fonction, vous retrouvez de nouveau vos amis du TABD, à Bruxelles cette fois, et vos propos ne laissent planer aucun doute : « Les relations de confiance et les échanges dinformations entre le monde des affaires et la Commission ne seront jamais assez nombreux » ( ) Nous consentons de grands efforts pour mettre en uvre vos recommandations dans le cadre du partenariat économique transatlantique et, en particulier, il y a eu des progrès substantiels dans les nombreux domaines sur lesquels vous avez attiré notre attention. » Et vous terminez votre intervention par cet engagement fort peu conforme au serment que vous aviez prononcé : « En conclusion, nous allons faire notre travail sur la base de vos recommandations[ii] » Pour ceux qui hésiteraient encore quant à votre opinion sur la globalisation, vous répétez un mois plus tard à New York, que « Nous avons besoin du soutien du monde des affaires au système de lOMC et pour davantage de libéralisation[iii]. »
Comme vous lécrivez-vous même dans votre livre (p. 37 et 47), « la politique commerciale est un domaine où, de par le traité, la Commission européenne dispose de compétences fortes et quasi exclusives ( ) le Commissaire au Commerce reçoit donc la compétence pour lensemble des relations commerciales entre lEurope et le reste du monde. » Dès lors plus de doute possible : par votre voix, tout au long de la première année de votre mandat - et on ne peut pas dire que vous ayez changé votre propos depuis lors chaque fois que vous étiez en face de vos amis, vous avez affirmé ladhésion de lEurope à la globalisation, cest-à-dire à la mondialisation néo-libérale qui entend réduire le rôle des pouvoirs publics au minimum afin que les marchés et les marchands jouissent de la liberté la plus grande. Au contraire, à lopinion publique, vous navez cessé de faire croire que lobjectif de lEurope, je reprends les termes de votre livre (p.149), vise à « réguler la mondialisation, à lencadrer afin de faire place aux valeurs et préférences collectives auxquelles les Européens sont attachés. »
On est donc en droit de se demander quels sont ceux de vos propos qui correspondent à la politique que vous conduisez effectivement : sagit-il de votre part de promouvoir une Europe qui sorganise selon ses propres valeurs et qui les défend dans les enceintes internationales ou sagit-il dinscrire lEurope dans un courant idéologique choisi délibérément ? Lobservation des propositions que vous soumettez au Conseil des Ministres et des positions que vous défendez au sein de lOMC fournit la réponse.
Prenons deux dossiers concrets qui sont également deux dossiers majeurs : lAccord sur les Droits de propriété intellectuelle (ADPIC) et laccès aux médicaments dune part; lAccord Général sur le Commerce des Services (AGCS) et la possibilité laissée aux pouvoirs publics de fournir des services répondant à des droits fondamentaux dautre part. La question quil faut trancher est bien la suivante : dans ces deux domaines, lEurope que vous représentez est-elle une partie du problème ou une partie de la solution ?
LADPIC et laccès
aux médicaments
En février 2000, devant la Commission du Développement du Parlement européen, M.Gakunu, au nom des pays dAfrique, des Caraïbes et du Pacifique, dénonce lincidence de lADPIC et de son volet relatif aux brevets sur le prix des médicaments, cest-à-dire la mort, chaque année de 15 millions de personnes victimes de la tuberculose, du paludisme et du sida, dont 3 millions meurent faute davoir accès aux médicaments trop chers pour eux. Vous lui répondez, avec une brutalité qui ma choqué comme elle a choqué ceux qui, dans le public, mentouraient, que lADPIC na aucune incidence sur laccès aux médicaments[iv]
Deux semaines plus tard, devant la Haute Cour de Pretoria, commençait le procès intenté par 39 multinationales pharmaceutiques au gouvernement sud-africain en vue de faire abroger une loi qui, suite à la catastrophe sanitaire à laquelle ce pays est confronté, lève les droits des détenteurs de brevet et autorise la fabrication de médicaments génériques.Ce procès scandalise lopinion mondiale. Lémotion est considérable. Au point que les 39 firmes retirent leur plainte. Et que vous éprouviez le besoin, de déclarer : « la santé doit passer avant le profit [v] » Belle formule, il est vrai. Mais qui crée une nouvelle fois lillusion sur lUnion européenne et les positions quelle défend.
Car votre conviction intime, Pascal Lamy, vous laviez exprimée en février. Et si le scandale provoqué par lodieux de laffaire de Pretoria vous amène à concéder quil y a effectivement une incidence de lexistence des brevets sur le prix des médicaments, il faut attendre 2002 pour vérifier de quelle manière vous en tirez les conséquences.
Entre-temps, un texte a été adopté sur le sujet lors de la conférence ministérielle de lOMC qui sest réunie à Doha. Le problème a été identifié et reconnu. Les ministres, et jen conviens vous y avez contribué, ont formulé le vu que lADPIC « nempêche pas les Membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique » et ils ont affirmé que « ledit accord peut et devrait être interprété et mis en oeuvre dune manière qui appuie le droit des Membres de lOMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir laccès de tous aux médicaments. » Ils ont formé le vu quaucune plainte ne soit déposée contre un pays qui, ayant une capacité de production pharmaceutique, aurait recours à la production de médicaments génériques sans le consentement du détenteur de brevet, ce quon appelle la « licence obligatoire. » Quelques pays sont concernés comme lAfrique du Sud, le Brésil, lInde, la Thaïlande. Quant à limmense majorité des pays frappés massivement par de nombreuses maladies mortelles et qui ne possèdent pas, chez eux, dindustrie pharmaceutique, ils devraient pouvoir importer des médicaments du pays où ils sont les moins chers sans laccord du détenteur de brevet, procédé quon appelle « importation parallèle. ». Mais sur ce point il ny a pas eu daccord à Doha et la question a été renvoyée à une négociation qui sest terminée le 30 août 2003 sur un accord bien éloigné des promesses de Doha. La négociation, qui a commencé en 2002, a vu lUnion européenne revenir sur la portée des termes adoptés à Doha. Elle sest évertuée à restreindre la notion de pays ayant une capacité de production, de pays sans capacité de production, de situation de crise sanitaire grave et, longtemps, la discussion a porté sur une liste limitée de maladies méritant dêtre soignées, les victimes dautres maladies étant de facto condamnés à mort. La Déclaration de Doha stipulait également que « chaque Membre a le droit daccorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées. » Elle ajoutait : « chaque Membre a le droit de déterminer ce qui constitue une situation durgence nationale ou dautres circonstances dextrême urgence. » Ces droits ont été niés dans laccord intervenu. Ils ont été remplacés par une obligation de justifier le recours à la licence obligatoire ou à limportation parallèle et par lobligation de prouver lexistence dune situation de crise. Il ne suffit pas daffirmer un droit ; encore faut-il le rendre applicable. Or, les modalités de mise en uvre de ce droit, telles quelles sont inscrites dans laccord du 30 août sont extrêmement contraignantes et restrictives. Il est manifeste quentre le droit aux soins et le droit au profit, ce nest pas au premier quon a donné la priorité absolue. Tous les moyens à la disposition des pays riches ont été mobilisés pour imposer cet accord. La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International sont intervenus auprès dun certain nombre de gouvernements pour quils renoncent à leur opposition. LUnion européenne, comme par hasard, le 21 août, alors que les pays dAfrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) manifestaient leur désaccord sur les propositions américano-européennes, a décidé dun programme dassistance aux pays ACP pour les négociations commerciales dun montant de 50 millions dEuros. En outre, lUnion européenne et les Etats-Unis ont pratiqué ce quils appellent « loffensive vers les capitales » : lorsque les délégués (les ambassadeurs) des pays du Sud à lOMC, forcément rompus aux arcanes des négociations et donc moins aptes à sen laisser compter, manifestent une résistance trop forte, les représentants des pays riches informent leur gouvernement (et, pour les pays européens, la Commission européenne) quil convient de sadresser directement aux ministres du Sud dans leurs pays respectifs. Les ministres maîtrisent moins la technicité des dossiers et sont plus sensibles aux promesses comme aux menaces. Cette « offensive vers les capitales » vous laviez inaugurée, Pascal Lamy, avant la conférence ministérielle de Doha afin dobtenir le soutien des pays du Sud aux propositions européennes ; vous lavez répétée vers lAfrique qui, particulièrement concernée par la question de laccès aux médicaments, manifestait une résistance insupportable à vos yeux comme à ceux des Américains. Cest la mort dans lâme et les larmes aux yeux que des ambassadeurs africains à lOMC ont, sur instruction de leur gouvernement, demandé à leurs collègues des autres pays du Sud de mettre fin à leur opposition aux propositions américano-européennes. Ces ambassadeurs, qui défendaient avec pugnacité les intérêts prioritaires de leur peuple, ont été lâchés par leurs propres gouvernements soumis à des pressions occidentales devenues intolérables. LEurope et la globalisation: une partie du problème ou une partie de la solution ?
LAGCS
Sil est bien un sujet dans lequel, Pascal Lamy, vous excellez à dire la chose qui nest pas, cest celui des négociations sur la mise en uvre de lAGCS. Cet accord monstrueux, dont on veut croire quaucun parlementaire ne laurait ratifié si on lui avait détaillé son contenu, est emblématique du projet de société qui a inspiré les Accords de Marrakech. Il remet radicalement en cause le modèle de société qui a, peu à peu, émergé dans plusieurs pays dEurope au prix de luttes sociales considérables. Cest un des instruments juridiques les plus puissants au service de lidéologie de lEtat minimum. Sa mise en uvre est un de vos objectifs prioritaires et les gouvernements de lUnion vous ont, à ce sujet, confirmé leur soutien le 8 décembre dernier. Au Parlement européen, une majorité formée de chrétiens démocrates, de libéraux et de sociaux démocrates a fait de même en janvier de cette année.
Pour une large part, ce soutien résulte sans aucun doute de lintense pression exercée sur les décideurs par le puissant lobby quest le Forum Européen des Services. Mais il est dû aussi à la présentation très orientée que vous faites des dispositions de lAGCS.
Ainsi, vous vous efforcez de tromper gouvernements et parlementaires européens en affirmant que « les négociations sur la mise en uvre de lAGCS concernent le commerce des services et non la réglementation de ces services comme tels. Il sagit de faciliter le commerce des services, ce qui na rien à voir avec la dérégulation, avec la libéralisation ou la privatisation. ( )° Les services publics qui forment une partie des fonctions essentielles dun gouvernement ne sont pas concernés par cet accord. » Cette argumentation, répétée à satiété, comporte trois contre vérités.
Affirmer que les négociations sur lAGCS ne concernent pas la réglementation des services est en contradiction absolue avec larticle VI, § 4 de lAGCS relatif aux « réglementations intérieures » (cest-à-dire aux lois, arrêtés, décrets, règlements, procédures) qui institue un organe de lOMC afin quil détermine les « disciplines », cest-à-dire les dispositions normatives considérées comme des « obstacles non nécessaires au commerce des services. » Un groupe de travail à lOMC est entièrement consacré à cette question de la réglementation des services. Cest dailleurs sur le bureau de ce groupe de travail que le 1 mai 2001 vous aviez fait déposer à lOMC un document (référencé S/WPDR/W14) qui va dans le sens de la mise en uvre de cette disposition de lAGCS. Belle illustration quentre ce que vous dites et ce que vous faites
Affirmer que lAGCS ne traite pas de la libéralisation des services, cest miser sur la paresse des élus et des journalistes qui niront pas vérifier dans le texte même de lAGCS ce quil en est. Toute la Partie IV (articles XIX, XX et XXI) de AGCS est consacrée, selon son intitulé, à la « libéralisation progressive » des services, larticle XIX, §1 indiquant clairement que lobjectif est « délever progressivement le niveau de libéralisation. »
Affirmer que lAGCS na rien à voir avec la privatisation des services, cest dissimuler les effets mécaniques de la règle du traitement national (art. XVII, §1). En effet, cette règle oblige chaque Etat à accorder aux fournisseurs de services étrangers un traitement identique à celui quil accorde à ses propres fournisseurs de services. Si la santé, les services sociaux, léducation ou la culture sont inscrits dans la liste des secteurs dont lUnion européenne impose la libéralisation dans le cadre de lAGCS, chaque Etat devra accorder les mêmes interventions financières aux fournisseurs privés des autres pays de lOMC que celles quil accorde à ses propres services dans ces différents secteurs. Cest budgétairement impossible et dans cette hypothèse les pouvoirs publics nauront plus quune seule possibilité : se retirer, cest-à-dire privatiser.
Affirmer que lAGCS ne concerne pas les services publics, cest tout à la fois tromper sur la définition des services donnée par lAGCS et profiter de lopacité des négociations pour cacher ce que la Commission européenne réclame de certains pays. LAGCS exclut de son champ dapplication uniquement les « services fournis dans lexercice du pouvoir gouvernemental », cest-à-dire « tout service qui nest fourni ni sur une base commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services. » (art. I, § 3, b et c). Dès quune même activité de service est rémunérée ou fournie par au moins deux fournisseurs (par exemple, un fournisseur public et un fournisseur privé), lAGCS sapplique. Ce qui est bien évidemment le cas, dans la plupart des pays du monde, de la santé, de lenseignement et de la culture et de bien dautres activités de services qui correspondent à lexercice de droits fondamentaux.
Preuve que lAGCS a pour objet de privatiser les services publics, vous avez adressé des demandes de libéralisation de lensemble des services relatifs à leau de consommation et au traitement des eaux usées à 72 des 109 pays auxquels vous avez demandé de libéraliser un certain nombre de secteurs de services. Ces demandes concernent également les systèmes non lucratifs de distribution deau. Chaque fois, vous avez demandé que le pays sengage à appliquer le traitement national et laccès au marché pour la prospection, la protection et la gestion des nappes aquifères, la captation, la purification et le stockage de leau, sa distribution et le traitement des eaux usées. Tous les pouvoirs publics sont ciblés, de lEtat central à la commune.
Illustrant votre mépris pour les choix démocratiques des peuples, vous avez spécifiquement demandé à des gouvernements de libéraliser le secteur de leau dans des pays où, sous la pression des habitants et des élus, un processus de libéralisation de leau engagé par le gouvernement a été, il y a peu, rejeté ou limité : Bolivie, Egypte, Panama, Paraguay.
Vous niez que laccès libéralisé aux eaux souterraines ouvre la voie à la privatisation des nappes phréatiques. Pourquoi dès lors avoir demandé à Taiwan dabroger sa loi interdisant à une société étrangère le droit de posséder des sources deau[vi] ?
Bel exemple de votre double langage, avant que les 109 demandes soient divulguées, vous affirmiez: «les préoccupations selon lesquelles les prochaines négociations AGCS pourraient mettre en cause les dispositions relatives aux services publics en forçant par exemple la privatisation de tels secteurs nont aucune raison dêtre.[vii] » Or, sur les 72 pays visés par des demandes sur les services environnementaux, chaque fois que le service de distribution de leau est un service public, il fait lobjet dune demande de libéralisation.
LEurope et la globalisation : une partie du problème ou une partie de la solution ?
Chacun tirera de ce qui précède sa propre conclusion. Ma conviction est faite : lEurope que vous incarnez, Pascal Lamy, nest pas une communauté de valeurs ; cest une communauté dintérêts. LEurope que vous représentez naffirme pas un modèle alternatif au modèle individualiste, du chacun pour soi, en vigueur outre-Atlantique. Elle sen rapproche au contraire chaque jour un peu plus. LUnion européenne telle quelle est et telle quelle agit, notamment par votre entremise, est un acteur décisif de la globalisation. Quand la lumière frappe vos actes Pascal Lamy, vos propos ne trompent plus. Et lEurope apparaît sous son vrai jour : une partie du problème.
A nous, citoyennes et citoyens, de changer cela.
Raoul Marc JENNAR Chercheur Auteur de Europe, la trahison des élites, Paris, Fayard, 2004. [i] Discours devant le TABD, Berlin, 29 octobre 1999. [ii] Discours devant le TABD, Bruxelles, 23 mai 2000. [iii] Discours devant le US Council for International Business, New York, 8 juin 2000. [iv] Parlement européen, Commission du développement et de la coopération, séance du 21 février 2000. [v] Libération, Paris, mars 2001. [vi] Alors que la Commission affirmait: « les demandes ne visent pas laccès aux ressources en eau. » Summary Of the ECs Initial Requests to Third Countries in Negotiations, Brussels, 1 July 2002, p.6. [vii] Commission européenne : réactions aux fuites des
avant-projets de requêtes de la CE, 24 avril 2002. |