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Mis en ligne le 2 février 2005

Si Dieu n’existe pas...

Denis Colin
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La loi morale semble, au moins dans la tradition judéo-chrétienne, s’annoncer d’abord sous la forme de la loi religieuse. Le Décalogue est le modèle de cette conception : la loi s’impose à tous parce qu’elle n’a pas une origine humaine.

Et cette transcendance est nécessaire pour que la loi puisse s’imposer car, sans cela, les hommes n’auraient aucune raison de l’adopter. Bien au contraire, sans l’autorité de la loi, ils ne peuvent que se jeter dans la débauche et dans l’idolâtrie, ainsi que le constate Moïse, de retour du Sinaï.

Le corollaire de cette conception, c’est la puissance de châtier dont dispose Dieu. Il peut châtier les hommes de leur vivant, comme il le fait à Sodome et Gomorrhe. Mais le châtiment, dans la conception chrétienne, vient plutôt après la mort où les âmes des pécheurs sont livrées aux tourments éternels de l’enfer. Même si la théologie fait de l’amour de Dieu le mobile de l’obéissance à la loi, c’est essentiellement dans la crainte de Dieu que s’enracine la moralité. Cette question hante Les frères Karamazov de Dostoïevski : " si Dieu n’existe pas, tout est permis. "

L’idée d’un fondement de la morale dans l’autorité transcendante d’une intelligence ordonnatrice du monde se retrouve dans les doctrines providentialistes du xviie siècle et dans la théologie naturelle. Chez Locke, par exemple, la loi morale est une loi naturelle, et c’est pourquoi il refuse la vision hobbesienne de l’homme à l’état de nature comme un être qui ne connaît que son " droit de nature " sur tous et sur toutes choses. Mais cette loi naturelle qui interdit à l’homme de disposer de sa propre vie et de celle des autres ou encore qui fonde la séparation du tien et du mien, selon Locke, c’est dans le Nouveau Testament qu’on en trouve l’expression la plus achevée.

On pourrait critiquer ce besoin de fondement théologique de la morale par l’examen de ses conséquences. Nos sociétés sont pluralistes et admettent la liberté de conscience, par conséquent la liberté de ne pas croire en Dieu. Ainsi, nous aurions un fondement de la morale qui ne vaudrait que pour les croyants. Une telle morale suspendue à la foi perdrait toute autorité. Dans les critiques modernes de la morale en général, on retrouve d’ailleurs cette même problématique mais inversée : puisque la morale découle de la religion et que la religion n’est que superstition, destinée à intoxiquer les hommes au profit des tyrans et des parasites, la morale elle-même n’est qu’une superstition dont on devrait se débarrasser au plus vite. L’argument du nécessaire fondement théologique de la morale se retourne contre lui-même.

Il y a également un argument de fait : si la foi pouvait fonder la morale, cela se saurait ! Les sociétés où la foi garde une très grande importance ne sont ni plus ni moins immorales que les sociétés où le scepticisme à l’égard de la religion est très ancien. Les citoyens des États-Unis sont généralement très religieux - c’est peut-être même le plus religieux des pays développés - et pourtant ils ne semblent pas très bien placés pour donner l’exemple de la régénération morale aux libre-penseurs goguenards de l’autre côté de l’océan. Une question soulevée depuis fort longtemps : déjà Pierre Bayle montrait que l’athée vertueux était de loin préférable au bigot superstitieux.

En troisième lieu, les défenseurs du fondement théologique de la morale font comme si la révélation religieuse était unique et comme si ses leçons étaient univoques. Mais quelle foi peut donc servir de fondement à la morale ? Celle de l’Ancien Testament, celle du Nouveau Testament, celle du Coran ? Faut-il plutôt suivre les leçons de Bouddha ? Les esprits syncrétistes affirment que toutes ces religions partagent un fond moral commun. Admettons cela - qui est tout sauf évident.

Alors il s’ensuit que l’aspect moral de ces religions n’a aucun rapport avec les croyances proprement religieuses qu’elles imposent. Ce qu’elles ont de commun, ce sont quelques préceptes raisonnables que tous les hommes peuvent partager indépendamment de la question de savoir si Marie a été conçue sans pêché originel ou si c’est bien Gabriel qui a révélé à Muhammad les vérités du Coran. L’argument syncrétiste loin de revaloriser le rôle de la foi montre finalement qu’on peut fort bien s’en passer.

En quatrième lieu, les morales religieuses si elles existent sont en fait des prescriptions de vie qui débordent de très loin le champ de la morale. Peut-on trouver un quelconque sens moral aux interdits alimentaires ? Manger de la viande le vendredi saint ou manger du porc, sont-ce là des pêchés au même titre que le vol ou le parjure ? Peut-on mettre le meurtre et la fornication sur le même plan ? Il suffit de poser ces questions pour avoir la réponse.

Le mélange de la diététique et de la moralité a quelque chose d’inconvenant.

Est-il vrai que si Dieu n’existe pas, tout est permis ? Norberto Bobbio analyse la signification de la parole des chevaliers de l’ordre teutonique, " Dieu le veut ". " C’est le revers du nihilisme : si Dieu existe et que je combats à ses côtés, alors toute atrocité est possible ". Le développement, à nouveau, des diverses formes de fanatisme religieux, jusque sous ses manifestations les plus monstrueuses, nous oblige à poser cette question.

Si Dieu existe, d’une part le croyant est justifié dans sa croyance et l’autre est dans l’erreur absolue qu’il faut extirper pour la plus grande gloire de Dieu. Si Dieu existe, la vie terrestre n’est qu’une vie misérable qui en saurait en rien être comparée avec la vie dans l’au-delà et, par conséquent, la mort n’est pas à craindre, ni pour soi, ni pour les autres, puisque de toutes façons, c’est Dieu qui décide de rappeler à lui les mortels.

C’est pourquoi dans les religions cohabitent si facilement les préceptes moraux les plus incontestables et l’utilitarisme le plus prosaïque et le goût du sacrifice le plus terrifiant. Credo quia absurdum ! En effet, il faut croire parce c’est absurde, car sinon comment croire pour des raisons morales à des dogmes qui enseignent que les bébés non baptisés erreront éternellement dans les limbes ? Comment admettre une justice divine qui condamne les enfants pour les fautes des parents ? Comment l’amour pourrait-il ordonner l’extermination des infidèles ? Inversement, si Dieu n’existe pas, la responsabilité morale nous incombe intégralement. Pas de justice ni de miséricorde divine dans l’au-delà.

Trouver nos propres limites, c’est notre affaire.

Déterminer ce que nous devons nous interdire, cela nous concerne et la réponse est dans l’usage de notre jugement et nulle part ailleurs. Autrement dit, on pourrait renverser la proposition commune sur l’amoralisme de notre époque désenchantée. C’est parce que la religion a déserté les esprits et les pratiques sociales que nous avons besoin de morale et c’est parce que nous pouvons entrer dans l’âge de la majorité - pour parler comme Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ? - que la morale, une morale autonome, humaine, rien qu’humaine, est véritablement possible.

Le texte originale

Publié le mercredi 2 février 2005
Mise à jour le mercredi 2 février 2005

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