Ainsi l’impuissante intelligentsia de gauche (des Temps Modernes à l’Express) se pâme devant la prétendue “montée des étudiants”, et les organisations bureaucratiques effectivement déclinantes (du parti dit communiste à l’U.N.E.F.) se disputent jalousement son appui “moral et matériel”. Nous montrerons les raisons de cet intérêt pour les étudiants, et comment elles participent positivement à la réalité dominante du capitalisme surdéveloppé, et nous emploierons cette brochure à les dénoncer une à une : la désaliénation ne suit pas d’autre chemin que celui de l’aliénation.
Toutes les analyses et études entreprises sur le milieu étudiant ont, jusqu’ici, négligé l’essentiel. Jamais elles ne dépassent le point de vue des spécialisations universitaires (psychologie, sociologie, économie), et demeurent donc : fondamentalement erronées. Toutes, elles commettent ce que Fourier appelait déjà une étourderie méthodique “puisqu’elle porte régulièrement sur les questions primordiales”, en ignorant le point de vue total de la société moderne.
Le fétichisme des faits masque la catégorie essentielle, et les détails font oublier la totalité. On dit tout de cette société, sauf ce qu’elle est effectivement : marchande et spectaculaire.
Les sociologues Bourderon et Passedieu, dans leur enquête “Les Héritiers : les étudiants et la culture” restent désarmés devant les quelques vérités partielles qu’ils ont fini par prouver. Et, malgré toute leur volonté bonne, ils retombent dans la morale des professeurs, l’inévitable éthique kantienne d’une démocratisation réelle par une rationalisation réelle du système d’enseignement c’est-à-dire de l’enseignement du système. Tandis que leurs disciples, les Kravetz se croient des milliers à se réveiller, compensant leur amertume petite-bureaucrate par le fatras d’une phraséologie révolutionnaire désuète.
La mise en spectacle de la réification sous le capitalisme moderne impose à chacun un rôle dans la passivité généralisée. L’étudiant n’échappe pas à cette loi. Il est un rôle provisoire, qui le prépare au rôle définitif qu’il assumera, en élément positif et conservateur, dans le fonctionnement du système marchand. Rien d’autre qu’une initiation.
Cette initiation retrouve, magiquement, toutes les caractéristiques de l’initiation mythique. Elle reste totalement coupée de la réalité historique, individuelle et sociale . L’étudiant est un être partagé entre un statut présent et un statut futur nettement tranchés, et dont la limite va être mécaniquement franchie.
Sa conscience schizophrénique lui permet de s’isoler dans une “société d’initiation”, méconnaît son avenir et s’enchante de l’unité mystique que lui offre un présent à l’abri de l’histoire. Le ressort du renversement de la vérité officielle, c’est-à-dire économique, est tellement simple à démasquer : la réalité étudiante est dure à regarder en face.
Dans une “société d’abondance”, le statut actuel de l’étudiant est l’extrême pauvreté. Originaires à plus de 80 % des couches dont le revenu est supérieur à celui d’un ouvrier, 90% d’entre eux disposent d’un revenu inférieur à celui du plus simple salarié La misère de l’étudiant reste en deçà de la misère de la société du spectacle, de la nouvelle misère du nouveau prolétariat.
En un temps où une partie croissante de la jeunesse s’affranchit de plus en plus des préjugés moraux et de l’autorité familiale pour entrer au plus tôt dans les relations d’exploitation ouverte, l’étudiant se maintient à tous les niveaux dans une “minorité prolongée”, irresponsable et docile. Si sa crise juvénile tardive s’oppose quelque peu à sa famille, il accepte sans mal d’être traité en enfant dans les diverses institutions qui régissent sa vie quotidienne.