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Mis en ligne le 29 août 2005

La fabrique des opinions de base par la propagande glauque

Jean-Léon Beauvois
Propagande médiatique

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La « fabrique » de l’opinion par les propagandes médiatiques est une bien vieille histoire. Nombreux sont ceux qui peuvent avancer des arguments, voire des chiffres, pour montrer comment on façonne certaines opinions des Français, notamment par la mal-information ou la désinformation. On s’est par contre peu arrêté sur les processus d’influence inconsciente que mettent en œuvre les médias pour « fabriquer » un noyau d’opinions de base, le plus souvent non-argumentées. Seul le pluralisme des opinions dans les médias peut éviter les biais générés par ces processus (1)

L’idée selon laquelle l’opinion des citoyens peut se fabriquer n’est pas nouvelle. Dès le début du XX° siècle, le Président Wilson, Président des Etats-Unis, faisait appel à un panel de publicistes, le comité Creel, pour « fabriquer » une opinion dans la population étasunienne : l’opinion en faveur de l’entrée des États-Unis dans la seconde guerre mondiale (les étasuniens étant défavorables à l’intervention américaine). George Creel racontera l’action de ce comité dans un livre célèbre publié dès 1920 (How we advertised america : ce que je traduis conceptuellement : Comment nous avons changé l’opinion de l’Amérique avec de la publicité). Et c’est un membre de ce comité Creel, le politologue Walter Lippman, qui fournira l’une des idées essentielles d’une théorie de la propagande moderne qui va se dégager des anciens modèles de la prédication et de l’endoctrinement. Pour Lippman (le livre que j’évoque ici date de 1922), le citoyen américain ne se forge plus ses opinions dans son environnement interpersonnel, dans les groupes de proximité (comme la famille, le quartier, les relations de travail).

Il s’est isolé dans un cocon urbain qui le conduit à emprunter des opinions, des savoirs, des informations... à ces sources distantes et non interactives que sont les médias. Et ceux-ci remplissent parfaitement cette fonction en fournissant au citoyen ce que Lippman appelle, toujours dans son livre de 1922, un « pseudo-environnement ».

C’est par la production de ce pseudo-environnement cognitif que les médias vont désormais peser sur l’opinion publique et qu’ils pèseront en conduisant les citoyens à accepter les grandes directions et les politiques qu’on leur propose.

C’est le même Lippman qui définira d’ailleurs plus tard la propagande par une expression qui restera puisque Chomsky et Herman en feront le titre de leur grand livre sur la propagande de 1988 : en Anglais manufacturing consent : fabriquer du consentement. L’édition française préfèrera la fabrique de l’opinion publique, expression quasiment identique à celle de Halimi et Vidal : L’opinion, ça se travaille (2002).

Comment travaille-t-on l’opinion ? Monopole de l’argumentation et désinformation

Je ne vais pas ici être exhaustif. Il y a de nombreuses façons de travailler l’opinion et de créer un « pseudo-environnement cognitif » des citoyens.

Certaines sont tout à fait démocratiques, d’autres sont tout à fait antidémocratiques. J’éviterai d’évoquer ici les mystifications, coups et bidonnages qui sont tout simplement immoraux. Les médias peuvent en démultiplier la portée sur l’opinion, mais ils ne les mettent généralement pas en œuvre eux-mêmes (ex. du déboulonnage de la statue de Saddam Hussein, place Fardous : un bidonnage des PSYOPS aux effets démultipliés par les médias).

J’aurais tellement envie de dire que parmi les façons démocratiques de travailler l’opinion, il y a la persuasion par l’argumentation et la contre-argumentation ! Tous les théoriciens de la démocratie font du débat public le moteur par excellence des changements d’opinion conduisant au renouvellement des politiques. Le débat était déjà tenu pour la méthode démocratique par excellence par les Grecs qui formaient les citoyens à l’argumentation par l’étude de cet art du discours qu’est la rhétorique.

Pourtant l’argumentation peut s’inscrire dans un travail de persuasion réellement antidémocratique sur l’opinion lorsque certains courants (quelquefois même un seul courant) en ont le monopole dans les médias, ce qu’on a vu à l’occasion du récent référendum (2) (3). Il est clairement apparu que la France n’était plus le lieu d’un débat démocratique, si elle l’a jamais été. Les tenants de ces courants, précisément parce qu’ils ont le monopole de l’argumentation, peuvent alors prétendre, même s’ils ne représentent qu’une opinion minoritaire, qu’ils doivent faire et qu’ils font de la « pédagogie », de l’ « explication » auprès des citoyens soi-disant mal informés et dont la seule parole reste le vote. Je vous rappelle l’insolent Bernard Guetta (l’Express et France Inter) qui s’insurgeait à Ripostes à l’idée qu’il faisait de la « propagande » pour avancer qu’il ne faisait, lui, que de l’argumentation. Il « expliquait » le traité à ces benêts grognons qui voulaient dire non.

Cette pratique, je dis bien réellement antidémocratique, trouve dans la France actuelle, où la coupure politique recouvre une coupure sociologique, un terrain particulièrement propice, l’argumentation étant tenue pour la rationalité de la France d’en Haut qui doit bien faire avec les humeurs de la France d’en bas (j’ai développé ce point de vue dans mon livre : Les Illusions Libérales, individualisme et pouvoir social). Je vous renvoie aux excellentes émissions La-bas si j’y suis (notamment celles des mercredi et jeudi 18 et 19 mai, subtilement intitulée OUI,OUI,OUI,OUI,OUI... non). Je vous renvoie aussi aux articles de Serge Halimi dans le Monde Diplomatique (en particulier : Médias en tenue de campagne européenne, mai 2005). Ce qui est proprement faramineux, c’est que malgré les analyses publiques faites de ce monopole de l’argumentation pour le OUI durant la campagne, les médias incriminés aient poursuivi dans leur parti-pris en toute tranquillité. Pédagogie oblige !

La désinformation n’est plus l’argumentation.

Je m’en tiendrai ici à la désinformation sans mensonge, les journalistes et commentateurs ayant, ce que chacun sait, une déontologie. Cette désinformation consiste alors à ne présenter aux citoyens que les informations appuyant un point de vue et ne pas présenter les informations appuyant d’autres points de vue. J’aime bien cet exemple donné par Chomsky et Herman : à la même époque où était assassiné en Pologne le Père Popieluzsko, ce que surent presque tous les Français auxquels on parla quotidiennement de cet assassinat, combien de journalistes parlèrent de l’assassinat en Amérique du Sud d’une centaine de religieux par les milices pro-américaines ? Mais vous avez probablement vous-mêmes en mémoire de nombreux exemples de désinformation.

Pensez à la façon dont furent présentées les réactions des usagers lors des grèves de la fin 95. Pensez aussi à la façon dont on vous a parlé (on n’en parle plus beaucoup) du procès de Milosevic à La Haye. Les journalistes s’arrêtaient volontiers sur les crimes reprochés au Président Serbe, sur l’acte d’accusation, mais vous épargnaient tout aussi volontiers de connaître la défense pourtant serrée déployée par l’inculpé déjà pré-condamné. Je crois qu’il n’est pas très utile de s’arrêter sur ces désinformations : tous ceux qui ont une opinion en dehors de la pensée dominante (je ne dis pas : majoritaire) y sont sensibles et bien souvent les dénoncent, comme ils dénoncent le monopole de l’argumentation, sans être entendus et reproduits. Je vous renvoi ici aux analyses de Halimi et Vidal dans leur excellent petit livre : L’opinion, ça se travaille, éditions Agone. Il va de soi que ces désinformations créent le pseudo-environnement cognitif indispensable à la rectitude des opinions.

Comment travaille-t-on l’opinion ? Les influences inconscientes et l’absence de débat

Je m’arrêterai plutôt ici sur ce qui est le plus spécifique de mon approche personnelle qui est celle d’un psychologue social. Je le ferai avec d’autant plus de plaisir que je sais que les phénomènes que j’évoquerai passionnent généralement le public même s’ils ont peu d’écho dans les médias qui sont tenus (toujours la pensée unique) de présenter une image de l’Homme qui intègre assez mal de tels phénomènes. Mon argument sera le suivant : La fabrique de l’opinion peut se réaliser par des processus d’influence inconscients. Pour accepter cette proposition, il faut accepter deux idées proches l’une de l’autre. La première est que nous pouvons être affectés par (ou sensibles à) des éléments de l’environnement auxquels nous ne faisons pas attention ou qui nous ont échappés mais que notre machine cognitive a néanmoins traités.

Ils vont en quelque sorte travailler en douce. C’est sur cette idée que repose l’influence dite subliminale. Vous me ferez valoir que l’usage de techniques subliminales est interdit par la loi française. Je vous répondrai d’abord qu’il n’est interdit que dans la publicité. Je vous répondrai surtout que la loi s’en tient au strict subliminal (présentation bien trop rapide pour être perçue) alors que des éléments durables de l’environnement mais auxquels nous ne faisons tout simplement pas attention (et dont nous ne nous souvenons même pas) peuvent avoir le même effet.

Je pense par exemple au logo d’une marque sur un maillot de sportif. La seconde idée est qu’il existe des processus de connaissance qui ne passent pas par la délibération personnelle, dont nous n’avons pas conscience et que nous ne contrôlons pour ainsi dire pas. Je voudrais pour me faire comprendre vous donner un exemple très simple. Imaginez que je vous demande de lire attentivement une liste de mots dans laquelle il y ait le mot aventureux. Imaginez aussi que les concepts que vous utilisez pour comprendre le monde s’organisent en « piles », en quelque sorte les uns sur les autres. Le mot aventureux, parce que vous venez de le lire et de le comprendre (disons : de le traiter), passe au-dessus de la pile dans laquelle il se trouve, mais évidemment vous n’en savez rien.

On se quitte, vous rencontrez une vague relation, Serge, que vous n’avez plus vu depuis des années. Il vous dit qu’il envisage de reprendre l’alpinisme qu’il a négligé depuis 15 ans et de faire en solitaire et en hivernale, pour se remettre en forme, la face nord de l’Eiger. Vous pourriez vous dire : il est fou, il est inconscient... Mais vous avez plus de chances de penser que Serge est quelqu’un d’aventureux. Pourquoi ? Parce qu’habituellement, pour trouver un concept qui permet de comprendre le monde, on commence par le haut des piles de concepts que nous avons dans notre tête. Or, aventureux vient de passer vers le haut de la pile. Et du coup, Serge risque de vous apparaître comme un gars formidable, ce qui n’aurait pas été le cas si vous l’aviez trouvé fou ou inconscient. Je peux affirmer ceci parce qu’à d’autres, la liste n’aura pas contenu le mot aventureux mais le mot inconscient.

Et que je peux comparer l’effet des deux listes sur la perception de Serge. On appelle cela expérimenter.Voilà un processus, c’est le processus dit d’amorçage, qui a fait l’objet de centaines de recherches et de publications. Les personnes informées, qui ont lu ces publications, n’en contestent pas la réalité. C’est un processus assez simple (je conviens que ma présentation est un peu rustique !) qui s’est déroulé « dans votre tête » sans que vous en ayez conscience et que vous puissiez le contrôler. La présentation d’un mot, d’un concept, rend plus probable l’utilisation de ce concept par la suite. Il existe plusieurs phénomènes qui, comme l’amorçage, participent à la connaissance que nous avons du monde et des gens et qui, comme l’amorçage, sont inconscients, peu contrôlables, et qui échappent à la délibération consciente.

Ils sont idéaux pour le façonnage à long terme de l’opinion publique. Prenons le cas de ce que les psychologues appellent le conditionnement évaluatif.

Cinquante ans, au moins, de recherches. Dans les premières, durant les années 50, on présentait aux étudiants engagés dans la recherche, à l’écran, des sortes de cartes de visite portant un prénom, disons Tom ou Jim.

Le fond de la carte de visite était fait de mots entrelacés auxquels les étudiants ne faisaient d’ailleurs pas attention : ils ne s’en souvenaient plus lorsqu’on les leur demandait. Ils devaient en effet simplement lire le prénom et se souvenir de ce prénom. Dans un cas, disons pour Tom, ces mots entrelacés étaient des mots très peu agréables (accident, cadavre, guerre...), dans un autre cas, donc pour Jim, c’était des mots évoquant des choses particulièrement réjouissantes (fête, cadeau, amour...).

Lorsqu’ils quittaient la salle, les étudiants étaient confrontés à un inconnu. Ils trouvaient cet inconnu plutôt antipathique lorsqu’il disait s’appeler Tom, et plutôt sympathique lorsqu’il disait s’appeler Jim. Voilà un beau conditionnement évaluatif : dans le contexte de présentation d’un mot, ou d’un objet, ou d’un concept... il y a quelque chose de systématiquement positif ou de systématiquement négatif. Le mot, ou l’objet, ou le concept... ramasse, en quelque sorte, un peu de cette valeur, par simple association inconsciente. De tels effets ont été depuis régulièrement reproduits. Ils sont évidemment acceptés par les scientifiques, même si vous n’en entendez pas parler demain par votre chroniqueur scientifique. Je pourrais prendre d’autres exemples de processus inconscients, mais je m’en tiendrai dans cette intervention à ce conditionnement. Je vous laisse simplement imaginer les effets que peuvent avoir certains conditionnements évaluatifs sur l’opinion.

Voici quelques structures de conditionnements évaluatifs qu’on ne peut repérer que lorsqu’on dispose du concept. Pensez par exemple à un concept (ou un personnage) X (concept à promouvoir ; Europe, économie de marché, initiative individuelle...) que les journalistes évoquent pendant des années et chaque fois qu’ils le peuvent en faisant un grand sourire et en prenant un air réjoui (« ce qui prouve - air réjoui - qu’il nous faudrait plus d’Europe !). Un concept (ou un personnage) X qu’ils prononcent en mettant du dynamisme dans l’intonation. Pensez au contraire à un concept (ou un personnage) Y (concept à décrédibiliser : fonctionnaires, corporatismes, revendication) que les journalistes évoquent pendant des années et chaque fois qu’ils le peuvent en faisant une moue assez dégoûtée et en prenant un air plutôt catastrophé. Pensez à certaines associations verbales impliquant un concept péjoratif et un concept qu’il convient de péjorer dans l’opinion (ou un concept positif et un concept à promouvoir dans l’opinion), associations qui peuvent être avancées pendant des années sur les ondes et les écrans (un exemple fonctionnaires et avantages)... Pensez aux croyances qu’expriment les héros sympathiques (ou qui réussissent bien socialement et/ou en amour) dans les films et dans les séries de la télé (croyances libérales, individualistes) et aux croyances qu’expriment les héros antipathiques ou qui échouent socialement ou en amour... Le téléspectateur est régulièrement confronté à une association entre certaines croyances et une activation de la sympathie et entre d’autres croyances et une activation de l’antipathie Je ne parle évidemment pas des films d’auteurs ou des films qui passent sur Arte le plus tard possible.

Je parle des séries et des films précisément confectionnés pour les masses. Vous trouverez vous-mêmes de nombreux exemples qui relèvent de cette forme douce de propagande qui passe par les processus d’influence inconsciente. Je l’ai appelée avec mon ami Claude Rainaudi : la propagande glauque. Je ne prétends pas que ces processus « font » les opinions dont on discute. Il reste malgré tout un peu de débat dans notre démocratie libérale. Ces processus d’influence inconsciente ne peuvent « fabriquer » qu’un noyau central de l’opinion publique. Et il leur faut du temps pour être efficaces. Mais pensez que les Etats-Unis ont mis plus cinquante ans pour glisser dans le monde les noyaux durs de l’american way of life. Vous savez comme moi que les films, les séries et les pubs y ont plus participé que les discours et les argumentation enflammés de Monsieur Madelin, et qu’ils l’ont fait sans argumentation.

Je dis « sans argumentation » car la propagande glauque est d’autant plus efficace que les noyaux qu’elle promeut dans l’opinion publique ne sont pas argumentés. On peut même penser qu’elle perdrait en efficacité si ces noyaux durs étaient argumentés (donc contre-argumentés). Et c’est fou le nombre de noyau de base de l’opinion d’un téléspectateur qu’il n’a jamais entendus argumentés et contre-argumentés. Prenons le cas de mes étudiants Niçois.

Ils reconnaissent (plus de 85 % dans une étude faite par moi-même fin des années 90) qu’ils n’ont JAMAIS été soumis à un débat contradictoire sur les concepts suivants, qu’ils jugent tous par ailleurs être éminemment chouettes : droits de l’Homme, démocratie, suffrage universel, élection libre, presse libre (pensez à la gueule et au ton réjouis de Stéphane Paoli et de Sophie Davant prononçant de tels mots). 68% disent ne pas avoir (ou ne pas se souvenir avoir) été exposés à un débat contradictoire sur l’économie de marché, concept encore, pour la grande majorité d’entre eux, plutôt chouette.

Si on les fait causer sur ces concepts (par écrit) et si on applique une analyse sur leur propos, la phrase qui explique le plus ce qu’ils peuvent en dire est : « comme chez nous ». (ou « comme en France », « comme dans NOS démocraties »...) Pour « droits de l’Homme » par exemple, les propositions, idées ou concepts les plus fréquents sont « on les respecte », « la Chine/Cuba/l’Irak... ne les respecte pas » (gueule et ton de Stéphane Paoli et de Sophie Davant parlant de Cuba !), « déclaration » (ils pensent surtout à celle de 1789, souvenir d’école), liberté de pensée, liberté d’expression... et, plus loin, dans la liste des fréquences : « droit au travail », « droit au logement » (que 7 sur les 10 étudiants interrogés ensuite oralement croient être dans « la » déclaration)... L’impression que dégagent les entretiens oraux est qu’ils croient qu’il existe, quelque part, une liste bien arrêtée et non problématique de droits, formant une hiérarchie d’évidence, et que « nos » démocraties tendent à respecter ces droits. Ils ont beau être très sympathiques, ces étudiants, mais ils font quand même de drôles de citoyens. Je devrais plutôt dire qu’ils font de « vrais » téléspectateurs. Les concepts qu’ils utilisent ont surtout acquis de la valeur ou de la dévaleur (ils réfèrent à des choses super ou craignos), et le contenu qu’ils y donnent, lorsqu’on le leur demande, s’adapte simplement à cette valeur ou à cette dévaleur. Ce contenu n’est pas polémique. Il ne peut l’être : on ne dispose pas des arguments pour et des arguments contre avec éventuellement avantage pour les premiers ou les seconds. Il y a simplement des concepts sympathiques et des concepts antipathiques, et c’est cette valeur ou cette dévaleur qui dirige vers un contenu qui ne peut pas être problématique, possiblement polémique. C’est là le résultat typique des processus d’influence inconsciente comme le conditionnement évaluatif. Exactement comme la sympathie ou l’antipathie pour Tom et Jim. Seul le conditionnement a fait que Tom est trouvé sympathique. Maintenant, si je vous demande pourquoi il est sympathique, vous trouverez certainement quelque chose à dire.

J’espère m’être fait comprendre : je ne suis pas, oh, certes non, contre les Droits de l’Homme. Mais je n’aime guère le statut qu’ils ont acquis, avec la propagande glauque, dans la pensée sociale commune. Je n’ai rien contre les principes démocratiques, bien au contraire. Mais je préfèrerais que leur application empirique aient donné lieu à des débats, et à des débats actifs dans la mémoire des citoyens lorsqu’ils sont amenés à parler, par exemple, « d’élections libres », de la « presse libre », de l’ « économie de marché »...

Et le pluralisme, bon sang !

J’entendais, peu avant le référendum, l’excellent Serge Halimi dire que les propagandes échouent finalement toujours. Peut-être a-t-il raison lorsque les propagandes portent sur des opinions qui sont encore discutables dans ce qui reste de débat public. Lorsque quelques arguments et contre-arguments restent disponibles dans la tête des uns et des autres. La faible pénétration des arguments du OUI dans la France d’en bas pendant la campagne pour le référendum du 29 mai, malgré l’insolent monopole de l’argumentation pour le OUI et même quelques désinformations, lui donne raison (4). Mais on peut craindre que la propagande glauque soit, elle, à terme, toujours efficace - sauf lorsqu’elle rencontre l’argumentation et la contre-argumentation. Or, si certaines propositions du libéralisme économique et surtout du néo-libéralisme économique restent aujourd’hui discutables, on l’a vu, et c’est tant mieux, la propagande glauque a installé dans nos têtes, et surtout dans la tête des jeunes dont la télé est l’éducateur principal, presque tous les corrélats culturels, philosophiques et psychologiques du libéralisme (5).

Nous devrions donc traquer les vérités qui sont données comme telles sans jamais rencontrer le débat. Encore faudrait-il, pour cela, que vous puissiez rencontrer dans les médias des journalistes, commentateurs et réalisateurs qui doutent de ces vérités. L’influence glauque ne présuppose aucune malhonnêteté flagrante des journalistes, réalisateurs et commentateurs. Elle ne présuppose qu’une chose : qu’ils soient eux-mêmes dotés des opinions ou des valeurs à disséminer dans la population. Alors, ils ne font que faire passer leurs convictions, sans avoir à les argumenter. Le libéralisme de la presse et des médias réalise parfaitement cette condition.

La plupart des réalisateurs, des grands journalistes et des commentateurs croient en ce qu’ils font ainsi passer. Le problème pour la démocratie est qu’ils ont le même nombre de poils dans les oreilles et qu’ils se nourrissent aux mêmes sources financières et idéologiques.

On doit donc rêver d’une presse libre et pluraliste, donc nécessairement non libérale, qui pourrait réaliser des processus d’influences divers, voire contradictoires.

Jean-Léon Beauvois

url d’origine

Le site maniprop.com

A LIRE :

Jean-Léon Beauvois, Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social. Petit traité des grandes illusions, PUG, 2003.

Notes :

[1] Ce texte résulte de la préparation d’interventions dans des manifestations d’ATTAC (fête du pays d’Aix ; Festival « images mouvementées »)

[2] Ce qu’on avait déjà vu à l’occasion des grèves de la fin 95, des élections présidentielles de 2001, du référendum sur le traité de Maastricht...

[3] Sur France Inter, sur une période de référence, 27 invités défendant le OUI, 7 défendant le NON ; Sur Europe 1 : 37 pour le OUI, 9 pour le NON.

[4] Il faut dire que cette argumentation a rencontré un terreau de contre-arguments qui avaient été préparés pendant des mois par des collectifs et forums

[5] Corrélats psychologiques qui ont profondément dénaturé l’individualisme. Mais quel producteur d’émissions financerait aujourd’hui l’organisation d’un débat contradictoire sur le thème « Etre soi-même : cela signifie-t-il quelque chose » ? Delarue ?

Publié le lundi 29 août 2005
Mise à jour le lundi 29 août 2005

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