Cette base militaire est actuellement commandée par le tristement célèbre général Mbuza Mabe. On se rappellera que lors des confrontations armées qui l’opposaient à son adjoint, le colonel Jules Mutebutsi, en juin 2004 dans la ville de Bukavu, Mbuza Mabe avait ordonné, avant sa fuite vers Walungu, des massacres ethniques sur la population banyamulenge vivant dans cette ville, ainsi que des militaires de ce même groupe ethnique affectés dans les unités basées à Shabunda et à Walungu. Après son retour à Bukavu, sous la protection des forces de la MONUC, les troupes sous son commandement se sont livrées à d’autres massacres ethniques sur la population rwandophone habitant le territoire de Kalehe. Les survivants demeurent à ce jour réfugiés au Rwanda.
Les 30 militaires banyamulenge, issus du MLC, qui suivent actuellement la formation dans le centre brassage de Kitona ne se doutaient de rien, surtout après avoir passé plus 7 ans dans les maquis de l’Équateur sous le leadership du Chairman Jean-Pierre Bemba sans connaître de tracasseries ethniques. C’est ainsi que dans la nuit du 5 au 6 février 2006, ils furent surpris par une attaque haineuse organisée et menée par certains de leurs compagnons d’armes à cause de leur appartenance à l’ethnie Banyamulenge. En d’autres termes, ce sont des gestes qui s’apparentent à de l’épuration ethnique commis, et c’est très grave, dans un centre de brassage pour la future armée nationale congolaise.
Au cours de cette attaque, deux majors (les plus gradés parmi le groupe) ont été copieusement tabassés et laissés pour morts sur place. C’est seulement après quelques jours de soins médicaux qu’ils reprendront connaissance, l’un d’entre eux ayant perdu trois dents. Quant aux autres militaires banyamulenge, ils ont eu juste le temps de fuir en brousse pour éviter de subir le même sort que voulaient leur réserver ces nouveaux "Interahmwe" au sein des FARDC.
Face à ces actes de haine ethnique, le leader du RCD, Azarias Ruberwa et le patron de la MONUC, William Lacy Swing, ont exigé de lourdes sanctions contre leurs auteurs. C’est ainsi qu’au cours d’une des réunions du gouvernement, on a décidé d’arrêter et de juger les principaux responsables de cette attaque. Ce qui fut fait dans les meilleurs délais : selon les dernières informations 15 militaires ont été arrêtés et traduits devant la justice militaire qui leur a imposé des peines allant de 3 à 15 ans de prison.
Rappelons ici que les cerveaux de ces crimes à caractère ethnique (le colonel Willy Kibambe, le major Mboli et les capitaines Boboli et Jean Pierre Mbuwa) sont des récidivistes bien connus dans le registre de l’ethnisme. En fait, lors des événements sanglants de Bukavu juin 2004, ils ont, sous les ordres du général Mbuza Mabe, procédé aux massacres de militaires banyamulenge affectés dans leurs unités respectives. Plus concrètement, le colonel Kibambe, qui était commandant de brigade de Walungu, est directement responsable de l’assassinat de sept militaires banyamulenge parmi lesquels figurent le major Sanze et le capitaine Kinyata. Quant au major Mboli et les deux capitaines Boboli et Jean-Pierre Mbuya, qui étaient respectivement commandant de bataillon et de compagnies dans la 23ème brigade basée à Shabunda, ils ont froidement exécuté 22 militaires banyamulenge dans cette ville. Tous ces crimes haineux, bien connus par la hiérarchie militaire, le gouvernement de transition et la MONUC, sont restés jusqu’à ce jour impunis.
Il reste donc à savoir si ces peines seront réellement mises en exécution dans la mesure où les condamnés en question sont en fait des protégés du général Mbuza Mabe, lui-même protégé par Joseph Kabila et l’administration parallèle qui gère effectivement les différentes bandes armées qui composent ce que l’on appelle les FARDC. Ce n’est d’ailleurs pas un fait du hasard si tous ces criminels se retrouvent encore ensemble à Kitona, plus d’une année après leur implication dans les événements sanglants de Bukavu, Walungu et Shabunda.
Encore une fois, des élections qui sont organisée uniquement pour la forme permettront tout simplement aux extrêmistes de violer les fondements même d’une véritable démocratie.
Pendant que des actes de haine ethnique se commettent dans un centre de brassage à Kitona, à Bukavu et à Uvira se sont des manifestations organisées en sous-main par le PPRD qui font la une de l’actualité. Et, au même moment à Kinshasa, les extrémistes opérant au sein du parlement (Sénat, Assemblée nationale) de la transition enflamment les médias en envoyant des lettres aux différentes autorités congolaises et étrangères et menacent d’arrêter le processus électoral. Tous ces agitateurs ne visent qu’une seule et même cible, empêcher la reconnaissance de Minembwe (Hauts Plateaux de l’Itombwe) et de Bunyakiri comme territoires.
Il est important de rappeler que lors des négociations de paix ayant conduit à la signature des accords de Lusaka, en juillet 1999, et de l’accord global et inclusif de Pretoria en décembre 2002, il était convenu que tous les actes administratifs posés par les trois belligérants pendant la guerre dans leur territoire respectif seraient maintenus pendant et après la période de transition. Or, Kabila a violé sciemment cette disposition des accords en supprimant trois territoires créés par le RCD (Bunyakiri, Kasha et Minembwe) de la liste officielles des entités administratives rendues publique avant les opérations d’enregistrement des électeurs. Pour remédier à cette entorse portée aux différents accords, Joseph Kabila avait promis de corriger l’erreur en rétablissant les trois territoires en question. Mais il s’agissait plutôt d’une duperie, car au même moment il demandait au PPRD et à ses autres alliés de la société si vile du Sud-Kivu, d’organiser des manifestations à Bukavu et à Uvira pour protester (surtout) contre l’existence des territoires de Bunyakiri et de Minembwe.
Précisons que les Hauts Plateaux de l’Itombwe, qui constituent le territoire de Minembwe, sont habités à plus de 80% par les Banyamulenge, et que cette zone était charcutée (jusqu’en l’an 2000) entre les territoires de Fizi, Mwenga et Uvira. Pour ce qui est de Bunyakiri, il s’agit d’une zone habitée presque totalement par l’ethnie Tembo dont fait partie le général Mayi-Mayi Padiri, mais qui relevait administrativement jusqu’en 2000 du territoire de Kalehe. Signalons aussi que la création de ces trois entités en territoires par le RCD avait suivi le processus administratif normal, notamment l’évaluation par des experts de la province de leur viabilité économique respective. C’est seulement après ce passage obligé qu’elles furent érigées en territoires par l’autorité politique de l’époque, à savoir le RCD.
Ainsi, vendredi dernier, le 17 février, deux manifestations ont été organisées à Bukavu et à Uvira par la fameuse société si vile. À Uvira, sur des barricades érigées dans la cité de Mulongwe, on pouvait lire ce qui suit : « Uvira, sois vigilant. Nous sommes prêts pour les élections, mais que Minembwe ne soit pas appelé territoire. » Tandis qu’à Bukavu une cinquantaine de manifestants marchaient sur l’artère principale de la ville pour protester contre la reconnaissance de Minembwe et Bunyakiri comme territoires. Et ils étaient bien appuyés par la vice-gouverneure, Aurélie Bitondo, une extrémiste bien connue de la société si vile, qui a vite émis un communiqué assurant à la population que ces deux entités ne seraient pas reconnues comme territoires au Sud-Kivu.
Une contre-manifestation organisée lundi le 20 février par des Batembo et des Banyamulenge de Bukavu a été violemment réprimée par des éléments de la garde présidentielles : passage à tabac et arrestation musclée de plusieurs personnes. Deux poids, deux mesures...
Toute cette effervescence politico-ethnique que l’on observe au Kivu et chez les ressortissants de ce dernier évoluant dans les institutions de la transition à Kinshasa à la veille des élections, témoigne d’une chose : l’assurance pour le courant extrémiste de gagner démographiquement les prochaines élections et, par conséquence, de légitimer par les urnes (fournies par la MONUC) l’exclusion des minorités ethniques, à savoir les Banyamulenge et les Banyarwanda. On se souviendra que cette exclusion fut l’une des deux causes de la guerre de 1996 ; et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, on peut maintenant légitimement craindre que l’histoire récente ne se répète.
La communauté internationale qui finance et supervise le processus électoral en RDC est ici interpellée car elle est en train, sciemment (c’est le cas de la Françafrique) ou inconsciemment (Canada, par exemple), d’aider politiquement la frange politique extrémiste à prendre le pouvoir via les urnes. Il ne sera pas étonnant de se retrouver (au lendemain des élections) dans la même situation qui prévalait au début de 1996, avec toutes les conséquences qui pourront en découler : c’est-à-dire à l’exclusion politique et sociales des Banyamulenge et des Banyarwanda à l’est, sans mentionner la surchauffe des autres foyers de tensions ethniques et politique au Katanga et en Ituri qui conduiraient directement et rapidement à un nouveau conflit armé en RDC.
Conclusion
De ce qui précède, on peut tirer les quatre leçons principales suivantes :
- Les événements de Kitona sont une preuve de plus que les militaires banyamulenge ne sont pas en sécurité dans les différentes régions du Congo, sauf chez eux sur les Hauts Plateaux. Ceux qui ont refusé d’être envoyés dans les différents centres de brassage à travers le pays ont, à la lumière des événements de Kitona, eu totalement raison, et la MONUC, qui est incapable de les protéger en cas d’attaques, devrait arrêter de faire le jeu du PPRD en leur demandant d’obéir à la hiérarchie militaire congolaise qui constitue en fait leur principale source d’insécurité. Nous faisons ici allusion non pas aux militaires mais à la branche politique de la MONUC qui, en complicité avec l’entourage de Joseph Kabila, menace tous le temps les militaires banyamulenge basés sur les Hauts Plateaux, alors que les Mayi-Mayi bembe et fulero dirigés respectivement par le général Dunia et le colonel Nyakabaka, qui ont carrément dit « niet » à ce fameux brassage, ne sont inquiétés par personne au sein de la MONUC ni par le gouvernement congolais ;
- En soutenant à bout de bras (et à coup de centaine de millions de dollars) ce processus électoral dominé par les acteurs politiques qui n’ont que l’idéologie de la haine ethnique comme « projet de société », la communauté internationale est en train de légitimer un processus qui conduit tout droit à l’exclusion des minorités ethniques dans l’est du Congo. En termes clairs, la communauté internationale est littérallement en train de financer les fondements d’un troisième conflit armé en RDC ;
- Les différentes manifestations politiquement organisées à Uvira et à Bukavu ainsi que l’agitation des députés et sénateurs extrémistes témoignent de deux choses : il s’agit d’une manœuvre politique orchestrée par la bande à Joseph Kabila, qui encourage une haine ethnique profonde contre les Banyamulenge. Mais ces derniers, victimes à répétition de ces types d’actes, ne sont pas prêts à se laisser faire : ils tiennent mordicus à leur territoire (comme d’ailleurs les Tembo de Bunyakiri) et ne demandent qu’une chose à Joseph Kabila : le respect de l’esprit et de la lettre des différents accords signés avec les autres ex-belligérants ;
- Les sénateurs et députés auteurs de ces pamphlets haineux, sont des individus bien connus (c’est le cas de Mahano Ge Mahano, un Hutu burundais qui se fait passer pour un Muvira) pour leur totale adhésion à l’idéologie de la haine ethnique, et qui sont aussi proches (ou agents) des services de renseignement dirigés par le professeur Samba Kaputo, conseiller spécial en matière de sécurité du président Joseph Kabila. En d’autres termes, les actes posés par ces parlementaires sont commandités par la maison-mère, c’est-à-dire la présidence de la République. Il n’est pas d’ailleurs étonnant que cela se passe juste deux jours avant l’arrivée de Joseph Kabila à Bukavu, pour sa deuxième visite dans cette ville en moins d’un mois.
Pendant ce temps la fameuse communauté internationale, représentée ici par la MONUC, assiste en spectateur impuissant, voire même complaisant, face à une situation qui se dégrade de jours en jours. On comprend bien que certains pays qui la composent sont de grands alliés de la mouvance présidentielle, alors que d’autres sont tout simplement indifférents et n’attendent que les résultats des élections pour ensuite plier bagages et oublier la RDC. Ce qui est désolant dans ce spectacle, c’est qu’on semble tenir coûte que coûte à des élections comme si, en soit, ces dernières pouvaient constituer les fondements d’une future démocratie authentique. Or, il n’en est rien, des élections sans institutions authentiquement démocratiques qui garantissent un état de droit et la sécurité des personnes individuelles et des collectivités, ainsi que le respect de la propriété privée, reviennent tout simplement à mettre la charrue devant les bœufs. La communauté internationale, sous l’impulsion impériale américaine n’en a en ce moment que pour des élections. Élections en Iraq, élections en Palestine (avec les résultats qu’on connaît), élections en Haïti (avec une entourloupette statistique) et prochainement des élections en RDC qui nous ramèneront en arrière de 10 ans... Bravo !
Les derniers événements survenus à Kitona, Bukavu et Uvira constituent des indicateurs alarmants de l’aggravation de la situation politique en RDC. Il ne manque plus, en fait, que les résultats des élections (NDLR - connus d’avance) pour que la marmite de la haine ethnique explose au Congo-Kinshasa, comme ce fut le cas en 1996 et en 1998. Déjà, le vice-président Yerodia, accusé de crimes contre l’humanité pour ses discours de 1998, mais récompensé d’un poste de vice-président de la république par Joseph Kabila, s’est à nouveau distingué par des dérapages verbaux venimeux lors de son dernier passage à Bukavu, ainsi qu’au cours du récent congrès du PPRD. La Haute Autorité des Médias (HAM) et plusieurs médias (notamment Le Potentiel) ont condamné ce genre de propos tenus par un membre de l’espace présidentiel, mais la communauté internationale demeure, elle, muette comme une carpe.
Terminons en disant que le décor est maintenant mis pour une troisième guerre en RDC, et ce, au vu et au su de la communauté internationale fortement présente sur le terrain par l’entremise de la MONUC. Il est peut-être tard, mais pas trop tard pour que cette dernière repense sa stratégie au sujet du processus électoral au Congo, car, dit-on, il vaut mieux prévenir que guérir. Il est complètement invraisemblable qu’on ait investi tant de milliards de dollards dans la plus importante mission de maintient de la paix de l’histoire de l’ONU pour laisser le même genre de dérapage haineux qui a fait près d’un millions de morts au Rwanda en 1994 refaire surface dans le pays voisin du Congo-Kinshasa en 2006. Si cela devait se produire, l’échec de l’ONU en matière de maintient de la paix et de reconstruction nationale serait totale et catastrophique, non seulement pour le Congo, mais aussi pour l’organisation des Nations Unies elle-même.
La Rédaction de l’OBSAC
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