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Publié le 9 janvier 2005 par iso
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Campagne de Survie contre les dictatures africaines
Association Survie
06/01/2005

La campagne contre les dictatures africaines lancée par Survie au mois de mai 2004 se fixerait pour objectif la dénonciation, aux yeux de l’opinion publique française, du soutien militaire, diplomatique et financier de l’ Elysée aux dictateurs africains. La prise de conscience de l’opinion publique par une large information et interpellation, initiée par les militants de base, est primordiale à plusieurs titres : l’opinion publique arbitre le jeu d’alternance politique, les élections législatives, municipales et cantonales au niveau national et les consultations européennes au niveau européen et international. C’est pourquoi cette campagne aurait à gagner en efficacité en interpellant également les élus du peuple à savoir les députés français mais aussi les groupes parlementaires européens :

c’est au niveau européen que les plus importantes décisions se prennent et la France a besoin de l’Europe au risque de se voir marginalisée par sa politique africaine. Le sujet est d’une grande complexité puisqu’il entre dans le domaine du visible et de l’invisible, de l’émergé et de l’immergé, caractéristique de la Françafrique. Son traitement par un support écrit se bornerait, comme l’énoncé le précise, à donner des exemples du soutien militaire, diplomatique et financier à un dictateur africain, choisi parmi tant d’autres. D’où " l’analyse de la situation au Soudan, au Tchad et éclairages de la situation dans le Darfour ", initialement soumis au débat enrichissant entre les militants de base.

 


II.TENTATIVES DE DÉFINITION D’UNE DICTATURE ET D’UN DICTATEUR AFRICAIN ET LES RAISONS DE SON SOUTIEN PAR L’ELYSÉE

II.1.Définition :

a) Qu’est-ce qu’une dictature ?

D’après le petit Larousse : " Une dictature est un régime politique instauré par un dictateur " et " un dictateur est une personne qui, parvenue au pouvoir, gouverne arbitrairement, sans contrôle démocratique "1. Le vocabulaire juridique de Gérard Cornu2 renchérit en donnant les attributs de la dictature " despotisme, tyrannie, autocratie, totalitarisme, monocratie ". Ce système abject ne peut que susciter le rejet de la population française, eu égard à son passé révolutionnaire de lutte pour l’établissement d’un Etat de droit fondé sur le principe de "Liberté, Egalité, Fraternité". Il continue cependant à être soutenu par les plus hautes autorités de l’Etat français et ce, depuis le colonialisme jusqu’à nos jours . Le vécu quotidien des Africains sous le régime totalitaire permet de compléter cette définition en mettant l’accent sur le fait qu’une dictature :

-  affame et massacre les populations
-  commet des crimes, assassinats et se livre à des tortures -maintient une politique de terreur et d’oppression -musèle la presse et les radios indépendantes -supprime les libertés individuelles
-  mène une politique de démission nationale face aux fonctions régaliennes de l’Etat en matière de santé, d’éducation, d’infrastructures routières, d’ eau et d’électricité
-  sabote tout projet de développement productif En résumé, la dictature viole les lois de la République, envoie sa garde prétorienne réprimer les manifestations pacifiques, musèle la presse, se spécialise dans le truquage des élections présidentielles et législatives, et si cela ne suffit pas, amende la constitution par sa majorité parlementaire mécanique pour s’éterniser au pouvoir : c’est la situation de la quasi-majorité des Etats africains francophones.

b) Qu’est-ce qu’un dictateur ? Un dictateur n’a plus rien à défendre que lui-même. Comment faire pour exister ou survivre aux assauts d’une population pluriethnique ? Resurgit l’archaïque stratagème politique qui consiste à dresser une partie de la population contre une autre. Il exploite le " piège ethnique ", c’est-à-dire la " manipulation d’ identités initialement secondaires et composites qui, chauffées au rouge, génèrent des clivages radicaux, servant d’explications fallacieuses "3. Il a besoin du désordre et de l’insécurité, et les conflits interconfessionnels procèdent de la même logique que les conflits interethniques : la cohabitation interconfessionnelle musulmans-chrétiens ou la coexistence pacifique entre le Nord et le Sud, n’ont jamais posé de problème au Tchad ni en Côte d’Ivoire, ni ailleurs en Afrique - la laïcité de l’Etat (même purement formelle) concourant à favoriser la tolérance. Par la suite, cette cohabitation a été transformée en hérésie par les hommes politiques pour se maintenir au pouvoir3

En résumé, le dictateur s’entoure d’une garde présidentielle ethnique et clanique et dilapide les maigres ressources de l’Etat, constituées par les prélèvements sur la vente des matières premières et l’aide publique au développement, pour mener une politique de corruption et de clientélisme, acheter des armes, financer les fraudes électorales Mais comme les aides ne sont pas totalement des dons, mais souvent des prêts bonifiés qu’il faudra rembourser un jour ou l’autre, le pays croule sous le poids de la dette. Si vous ajoutez à ce fardeau les catastrophes comme la sécheresse et la désertification, que connaissent nombre de dictatures en Afrique subsaharienne, vous obtenez une situation explosive de crise économique attisée par la famine, la pauvreté, les maladies.

II.2. Les raisons des soutiens multiformes de l’Elysée aux dictatures africaines

II.2.1.Qu’est-ce que l’Elysée ?

De ce qui précède, nous avons une idée précise de la dictature et d’un dictateur africain, maillon faible (car corvéable et manipulable à merci) d’ un système de relations incestueuses dont le maillon fort est constitué par le triangle des " 3 E " : l’Elysée, l’Etat-major français et Elf (devenue TotalFinaElf, puis Total tout court).

L’Elysée veut dire Charles De Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac.

Quel que soit le cas de figure, période de cohabitation ou pas, la politique africaine de la France se fait à l’Elysée. L’existence permanente d’une cellule africaine de l’Elysée est là pour le confirmer. Quelle alternance politique française pourrait-elle mettre un terme à cette conception néocoloniale, insultante pour les Africains ? En matière de politique africaine, le fiasco de la gauche au pouvoir a été illustré par le conservatisme archaïque de François Mitterrand. Il est très peu probable que les "présidentiables" mitterrandiens Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang aient envie de faire évoluer positivement les choses en 2007.

François Hollande et Martine Aubry sont d’une génération moins marquée par l ’affairisme françafricain, mais rien ne dit qu’ils soient plus capables d’un changement de la politique franco-africaine que Lionel Jospin, si silencieux devant les crimes de la Françafrique chiraquienne. Et l’on n’a guère entendu les éminences socialistes dénoncer les graves conséquences de l’implication de l’Elysée en Côte d’Ivoire.

En réalité, le triangle des " 3 E " jette son dévolu sur l’Afrique à travers un ensemble de réseaux d’amitiés et de complicités qui apparaissent pour nous, les non-initiés, comme la face immergée de l’iceberg. Le but recherché, c’est de ne jamais nous permettre de savoir " où commencent et finissent, s’excluent, se contredisent, s’impliquent ou se complètent l’action occulte et la politique officielle "4 de ce triangle des " 3 E ".

François-Xavier Vershave, l’initiateur et principal auteur des " Dossiers noirs de la politique africaine de la France ", parle de plus d’une dizaine de réseaux et de lobbies4. Chaque lobby obéit à plusieurs motivations en même temps. Les réseaux n’ont pas le même mode ou le même degré de présence dans chaque pays, au Tchad, au Rwanda, au Sénégal ou en Mauritanie. A chaque pays, explique F.X. Verschave dans " La Françafrique ", correspond une sorte de grille de mots croisés (avec les réseaux verticalement, et les motivations horizontalement). Mais il retrouve dans " Noir Chirac " une unité généalogique de la Françafrique, qui n’a eu finalement que deux grands parrains : Jacques Foccart, le bras droit de De Gaulle, puis, depuis 1974, Jacques Chirac, secondé par Charles Pasqua. La grande question qui se pose à tout individu doté de bon sens est la suivante : pourquoi la Chiraquie élyséenne continue-t-elle de soutenir les dictatures africaines ?

Il y a à cela plusieurs raisons :

II.2.2 .Les raisons de soutien multiforme de l’Elysée aux dictatures africaines.

a) Pour une volonté de puissance et des raisons politiques Alors que la politique africaine de la France compte parmi les plus meurtrières qu’ait connu notre siècle5, " la France conserve, aux yeux de l’opinion internationale, l’image fantoche de pays des Droits de l’Homme et demeure convaincue que le reste du monde ne peut se passer de ses Lumières "6

À la différence de l’Allemagne qui s’est penchée sur son passé pour se livrer à une réelle autocritique du nazisme, la France continue son bonhomme de chemin avec une bonne conscience d’elle-même.

L’histoire de la France est racontée aux élèves français comme une épopée glorieuse sans autocritique de son colonialisme. Le peu d’écho dans la conscience collective française du rôle primordial des tirailleurs africains dans la libération de la France est l’une des preuves de son mépris raciste à l’égard des Africains.

Résistants tchadiens que nous sommes aujourd’hui, nous nous rappelons encore que, dans les années 50-60, nos instituteurs nous alignaient en rangs tels des soldats à chaque sortie de l’école, midi et soir, et nous obligeaient à entonner l’une des chansons célèbres des tirailleurs africains au côté du Général Leclerc : " En passant par le Tchad, l’Angleterre et la France, le grand chemin qui mène vers Paris. Division Leclerc, toujours en avant, marchons tous au pas. B. B. Vive la Division B ".

A l’heure où Strasbourg et Paris célèbrent en grande pompe le 60ème anniversaire de leur libération, aucun survivant français soldat ou officier de la Division Leclerc ne peut s’empêcher de verser des larmes chaque fois qu’un fils de tirailleur africain entonne le refrain de cette chanson entrée dans le patrimoine des chansons des partisans. Le rôle décisif des Africains dans la Libération de la France du joug du nazisme est occulté pour servir les causes d’une décolonisation à contre-cour : le néocolonialisme.

Il est clair que ce ne fut pas de gaieté de cour que la France s’est engagée dans la voie de l’émancipation de l’Afrique. En effet, après la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie, les USA et l’URSS ont encouragé le discours anticolonialiste contre les vieux empires français et britannique, contraignant finalement la France à accepter l’émancipation de ses colonies.

De Gaulle chargea alors Jacques Foccart d’élaborer tout un système de confiscation des indépendances africaines. C’est ainsi que le colonialisme a conduit tout droit au néocolonialisme, sans passer par la case indépendance. Pour le moins qu’on puisse dire, le néocolonialisme français est un système totalisant et totalitaire. C’est le degré d’indépendance-zéro par rapport au degré d’indépendance 1 des ex-colonies britanniques.

La " paristroika "7, nécessitée par la chute du mur de Berlin, s’est traduite par une succession de reformulations de la politique africaine de la France : " De la prime à la démocratie " de Mitterrand, à " la démocratie, mais chacun à son rythme ", en passant par " la prime à la bonne gouvernance ", puis " la démocratie, le développement et la sécurité " puis encore " la sécurité, le développement et la démocratie " de Jacques Chirac -le dinosaure franco-africain La France tenait coûte que coûte à " garder un cortège d’Etats-clients qui lui permettent de conserver son siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ ONU "6 grâce à son " rayonnement " sur le continent africain, au feu nucléaire et à sa langue universelle.

-  Syndrome de Fachoda " La France, dans son âme éternelle est en guerre contre le monde anglo-saxon "7 qui tolérait cette virulence agressivité à son égard à cause de la guerre froide : " Est contre Ouest. "

Au-delà des divergences, l’Occident se devait d’unir ses forces contre l’ennemi commun qui fut le bloc soviétique. La guerre froide permettait à la France d’être tolérée " gendarme de l’Afrique ".

Mais depuis le démembrement de l’Union soviétique et la chute du mur de Berlin dans les années 90, il n’y a plus à proprement parler d’ennemi cible.

Il fallait improviser.

La France se devait de répondre à la question : " comment défendre ses intérêts sur le plan culturel, politique, militaire et commercial dans son pré-carré face aux USA qui désormais se comportent en maîtres du monde " ? Le questionnement peut se comprendre. Mais la défense des intérêts français peut-elle se faire par un soutien aveugle au dictateur génocidaire Habyarimana causant la mort de plus d’un million des Tutsis au Rwanda ? Nous sommes là en présence d’une paranoïa INACCEPTABLE pour un pays qui se prétend le berceau des Droits de l’Homme.

-  Que cache la vision d’un monde multipolaire de la France ? La France élabore en matière de politique internationale la théorie d’un monde multipolaire par opposition à la vision unilatéraliste américaine qui a connu son apogée dans la récente guerre menée par l’administration de Georges W. Bush en Irak. L’idée française qui veut que c’est le droit qui doit l’emporter dans les relations internationales n’est pas en soi mauvaise. Le fait qu’on ne peut pas mener une guerre pour changer un régime contre la volonté de son peuple, que l’Irak joue le rôle expiatoire de l’attentat du 11 septembre pour les USA et qu’en tout état de cause, il n’est pas le point névralgique de toutes les tensions de la planète, est également vrai.

Mais même si nous nous révoltons contre l’unilatéralisme américain qui, juge et partie, entretient l’injustice à l’échelle mondiale, mène une politique de "deux poids, deux mesures" et sabote la Cour Pénale Internationale, nous pouvons difficilement ne pas dire que la France n’est pas en reste.

La France, plaidant pour un monde multipolaire, refuse que le non-respect des Droits de l’Homme par un Etat dictateur implique une intervention internationale contre le principe de souveraineté de cet Etat. En d’autres termes, aucun Etat, aucune puissance n’a le droit d’intervenir dans les affaires intérieures d’un Etat qui viole les Droits de l’Homme. La France souscrit au principe : " Charbonnier est maître chez soi " .

Un dictateur africain est maître chez lui selon le principe de souveraineté de son Etat : il peut violer les droits de l’homme, torturer et génocider son peuple, personne n’a le droit d’intervenir.

Or cette position, ce principe de souveraineté apparaissent de nos jours de plus en plus transgressés. Tout de même, le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 méritait une intervention de la Communauté internationale respectueuse des principes des Droits de l’Homme.

Le droit des gouvernements de détruire leurs propres peuples devient dangereux.

Le droit d’ingérence, au nom duquel l’Europe et les USA sont intervenus en ex-Yougoslavie pour mettre un terme à la purification ethnique, doit s’étendre à toutes les dictatures au nom de la solidarité et de l’ interdépendance des peuples du monde.

Si la Communauté Internationale ne fait pas prévaloir le primat des Droits de l’Homme sur le principe de la souveraineté des Etats, l’excès d’injustice et de crimes mènera notre monde à la dérive.

b)Pour des raisons économiques : Il s’agit de l’accès aux matières premières stratégiques comme l’uranium (pour la bombe atomique) et le pétrole, les phosphates mais également des produits agricoles comme le cacao, la banane, le café, le coton, l’arachide. En même temps, les compagnies françaises sont en situation de quasi-monopole dans le pré-carré :

Castel pour la bière, Vincent Bolloré pour les transport, TotalElf, responsable de l’indépendance énergétique de la France, pour l’exploitation du pétrole et la distribution des carburants, Hachette pour la distribution des livres, UTA puis Air France pour la navigation aérienne, Sanofi-Synthélabo-Aventis pour la pharmacie, Accor pour l’hôtellerie haut de gamme, Bouygues pour le bâtiment, sa filiale Colas et Satom pour les routes, Alcatel et France Telecom pour les télécommunications, Dagris pour le coton. L’Afrique, zone commerciale stratégique est le deuxième marché de la France après l’Union européenne.

Si ce marché semblait verrouillé par le pacte colonial, aujourd’hui, la France est en passe de s’y faire déclasser par les USA (dans les domaines du pétrole et des télécommunications), l’Italie (dans le domaine routier) mais aussi le Japon, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Allemagne, le Canada.

c) Pour une raison inavouable : Celle-ci relève de la face immergée de l’iceberg. Il s’agit du partage de la rente des matières premières sus indiquées et de l’aide publique au développement entre parrains français et dictateurs africains.

La rente est la différence entre les faibles coûts engagés dans la culture ou l’extraction des matières premières et leurs prix de vente sur le marché international. En ce qui concerne les produits pétroliers, il est de notoriété publique que l’exploitation et la commercialisation du pétrole africain (Nigeria, Angola, Algérie, Gabon, Congo-Brazza, Tchad, Guinée Equatoriale. ) sont monopolisées par Total et les majors anglo-saxonnes. En plus des rentes apparentes, tout un système d’arnaques est organisé par ces compagnies autour de l’affichage des prix, de la déclaration de la qualité du brut ou des quantités extraites, de la variation des taux de change, des taux d’intérêt et commissions sur les avances (prêts gagés). Au finale, le pétrole africain dégage donc une marge considérable.

La question qui semble évidente est comment s’effectue le mécanisme de versement de la rente pétrolière aux Etats et à leurs populations ?

Les dirigeants des grands groupes pétroliers considèrent qu’ils doivent traiter avec les régimes en place. Et qu’au nom de la souveraineté d’Etat, ils ne doivent pas s’immiscer dans leurs affaires intérieures.

Nous retrouvons là une prise de position chère à la France : " Charbonnier est maître chez soi " - tant dans sa politique arabe qu’africaine, qui ne pose pas en préalable la question des Droits de l’Homme. C’est probablement en cela que réside le caractère de consanguinité d’intérêts et de soutiens de l’Etat français et de TotalElf.

Grâce à la rente des matières premières, ces régimes pillards et dictatoriaux arrivent à conserver le pouvoir par un recours forcé à la répression sauvage et à la corruption.

Une autre partie de la rente fait le retour en métropole pour servir aux financements occultes des partis politiques français.

Nous sommes complètement édifiés par le volume et la généralisation des rétro-commissions scandaleuses qui ont défrayé la chronique des journaux et terni en même tant l’image d’Elf en Afrique - avant sa disparition sous l’ écran Total.

Les mécanismes du détournement des rentes des matières premières sont liés à l’aide au développement. L’aide est devenue le catalyseur de l’extraction de la rente.

d) Quelques illustrations non exhaustives de la dilapidation des rentes des matières premières et de l’aide publique au développement :

1. Au Gabon, " l’intégralité de l’argent du pétrole est détournée "6.

La France est donc obligée d’apporter un tout petit peu d’aide au développement pour empêcher que le Gabon ne sombre complètement.

2. Au Cameroun : la plupart des banques sont en cessation de paiement parce que les personnalités les plus riches du pays, considérées comme intouchables, empruntent de l’argent à ces banques mais n’honorent jamais leurs engagements de débiteurs. La France est obligée de réamorcer la pompe financière " par une louche d’aide publique au développement "6.

3. Au Cameroun toujours, les policiers n’avaient pas obtenu leurs salaires.

Et comme les royalties du pétrole camerounais n’étaient jamais inscrites au budget mais placées par le dictateur Paul Biya dans des paradis fiscaux," la France envoie 600 millions ou 1 milliard de FCFA tous les 6 mois "pour faire face aux fonctions régaliennes de l’Etat. Prétexte invoqué : éviter entre autres que les policiers ne se servent sur les populations.

Mais ce genre de pactole n’arrive jamais jusqu’aux policiers : cette " aide hors projet ", destinée à boucher le trou du budget de l’Etat camerounais et comptabilisée dans l’aide publique au développement, repart aussitôt par valises de billets CFA vers la Suisse.

Reconvertis en francs français ou autres devises, ces valises de billets sont équitablement partagées entre décideurs politiques français et camerounais. Une étude a montré que le pic de ces " aides hors projet "était généralement atteint " avant chaque échéance électorale en France "6.

4. Au Congo-Brazzaville, jusqu’à dix ans de production future de pétrole , ont été gagés contre des prêts évaporés dans les paradis fiscaux.

III.LES FORMES DE SOUTIEN AUX DICTATURES AFRICAINES

III.1 SOUTIEN POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE

a) Politique : Il est inutile de s’attarder sur ce chapitre car le soutien politique de l’ Elysée aux dictateurs africains va de concert avec les raisons politiques abordées plus haut.

b) Diplomatique :

L’Elysée profite de la position de puissance moyenne de la France, de son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU pour bloquer toute résolution de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies condamnant la violation des droits humains par les dictateurs de son pré-carré.

L’exemple le plus frappant est le lobbying de la diplomatie française frisant l’irrationalisme pour défendre le Tchad et le Togo, à chaque fois que ces deux pays sont épinglés par la Communauté internationale.

III.2. SOUTIEN FINANCIER :

Il a été abordé dans le chapitre concernant le partage de la rente des matières premières et des aides publiques au développement.

III.3. SOUTIEN MILITAIRE

L’Etat-Major et les lobbies militaires français sont officiels ou secrets.

En dehors des anciennes troupes coloniales, la quasi-totalité du haut Etat-major français est constituée d’officiers qui ont fait une carrière accélérée en Afrique. Cette carrière leur permet d’avoir des promotions deux à trois plus rapides qu’en métropole, avec des soldes très importantes.

Pour ces gens-là, l’Afrique, c’est leur identité. Il est hors de question pour eux que l’armée française la quitte. C’est la raison pour laquelle nous trouvons encore sur le territoire du pré-carré français, après 4 décennies d’indépendance, des forces françaises dites de prépositionnement au Tchad, au Gabon, à Djibouti, au Sénégal.

Jean-François Bayart, dressait, à partir du cas rwandais, un tableau très inquiétant, repris par François-Xavier Vershave dans le Dossier noir n°6 :

" Il faut savoir que l’armée française a une autonomie à peu près complète sur le terrain en Afrique, et cela de la façon la plus légale qui soit. Il y a toute une circulation d’argent qui relève de certaines lignes budgétaires reconnues par le Parlement et qui n’est pas contrôlée. Cet argent sert à financer des opérations dont nous n’avons pas la moindre idée. Et de ce point de vue, la tragédie de 1994 n’a rien appris aux décideurs français. "8

Claude Silberzahn, patron de la DGSE de 1989 à 1993, revendique pour ce service secret la plus grande autonomie par rapport aux instances légitimes de la République française et le droit de soutenir des dictatures africaines " en faveur de ce que j’appelle " la politique du moindre pire " "8.

CONCLUSION GÉNÉRALE :

Les mécanismes de soutien multiforme de l’Elysée aux dictateurs africains font usage de la criminalité politique et de la criminalité économique.

Est-il possible de continuer à soutenir de tels systèmes ? Comme tous les Français n’appartiennent pas à la Françafrique et que certains s’attaquent aux responsabilités de leur propre pays, un appel est lancé aux élus du peuple français pour pousser les décideurs politiques à supprimer les mécanismes d’irresponsabilité de l’Elysée.

Le Parlement français devrait contrôler l es activités de l’armée française et de ses services secrets en Afrique. Les députés européens se doivent de dénoncer voire entraver la poursuite des manouvres occultes de l’Elysée en Afrique : la France empêche aujourd’hui toute construction d’une légitimité politique par l’alternance démocratique. Lees moyens d’information de masse français et occidentaux ont multiplié les éditions spéciales pour couvrir les fraudes électorales lors des récentes élections présidentielles en Ukraine - un phénomène qui, pour les Africains du pré-carré français, apparaît comme une banalité. Cela démontre, si besoin en est, le mépris raciste des décideurs politiques français et européens et de leurs médias à l’égard des Africains de l’espace francophone.

Ceux-ci ne savent plus à quel saint se vouer entre les truquages des processus électoraux orchestrés par les dictateurs africains avec l’appui de l’Elysée, truquages " légitimés par des rapports complaisants des observateurs de l’Union Européenne et de la Francophonie "9, et le perpétuel remodelage des constitutions africaines par ces mêmes dictateurs pour s’éterniser au pouvoir. Cette différence de traitement de l’information selon que vous êtes Noirs ou Blancs ne peut avoir, une fois n’est pas coutume, qu’une seule explication :

la persistance d’un état d’esprit méprisant et raciste de l’Occident à l’égard de l’Afrique, comme l’avait François Mitterrand en 1994 par rapport au génocide des Tutsis au Rwanda - qui lui semblait quelque chose de banal. De la même manière, nous pouvons transposer le fond de sa mémoire d’outre-tombe : " dans ces pays-là de l’Afrique subsaharienne, l’exigence d’une élection libre, démocratique et transparente, n’est pas quelque chose de très important ".

Dans tous les cas, les résistants africains doivent comprendre, pour reprendre un propos de Jean-François Bayart qu’" il existe une osmose entre la classe politique, le monde de l’entreprise, la presse et la société civile et les gouvernements africains, qui explique que certains débats sont évités pour se contenter d’un certain " prêt-à-penser " "10.

Même si la fin de la Françafrique viendra de la capacité des Africains à soutenir une nouvelle génération de femmes et d’hommes politiques, capables de transcender les clivages de leurs identités secondaires et composites, leurs peurs et leurs querelles intestines pour s’attaquer dans un seul front uni à résoudre l’équation des dictateurs africains, il est de la responsabilité des Français et des Européens d’arrêter les mécanismes d’irresponsabilité et des manouvres occultes de l’Elysée en Afrique francophone.

IV.Références bibliographiques :

-  1. Le Petit Larousse. Grand Format 1999, p. 332
-  2. Gérard Cornu : Vocabulaire juridique. Ed. PUF, Paris,1998, p. 281
-  3. Jean-Prosper Boulada : Conflits armés en Afrique : classification, causes, alternances in http://www.ialtchad.com/archives.htp ou http://survie67.free.fr/Manifestations/G8_evian/JPBoulada Conflits_africains.PDF p.
-  4. François Xavier Verschave : La Françafrique. Le plus long scandale de la République. Ed. Stock,Paris, 1998, pp. 292-293 ; 299
-  5. Jacques Morel : Calendrier des crimes de la France outre-mer. Ed. L’ Esprit frappeur, Paris, 2001, 283 p.
-  6. François Xavier Verschave : France-Afrique :le crime continue. Ed. Tahin Party, Lyon, 1998, pp. 7 ; 13 ; 23-24.
-  7. Antoine Glaser, Stephen Smith : L’Afrique sans Africains : le rêve blanc du continent noir. Ed. Stock, Paris, 1994, pp. 100-102 ; 172 ; 182.
-  8. Agir ici-Survie : Dossiers noirs de la politique africaine de la France n°6 : Jacques Chirac et la Françafrique. Retour à la case Foccart ? Ed. L’ Harmattan, Paris, 1995, pp. 100-101.
-  9. Jean-Prosper Boulada : Les institutions européennes dans leurs relations avec les pays du Sud sur quelques exemples de la Mission de l’Union Européenne d’Observation et de Surveillance des élections africaines : Etat des lieux. Prolongement du Forum Social Européen de Florence à Strasbourg, p.3 in http://survie67.free.fr/Manifestations/FSE_florence/JPBoulada.htm
-  10. Rapport d’information N° 1859, de la Commission des Affaires Etrangères de la l’Assemblée nationale française par les députés Marie-Hèlène Aubert, Pierre Brana et Roland Blum : Pétrole et éthique : une conciliation possible ? Tome 1 Paris, 13 octobre 1999, p.78.

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Par Jean-Prosper BOULADA , Président du Front Uni pour l’Alternance Démocratique au Tchad-FU/ADT), Contribution de Survie Bas-Rhin(Alsace) à la campagne de SURVIE sur les soutiens multiformes de l’Elysée aux dictatures africaines

 


 

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